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murailles, il est en elle de frapper les esprits, d’agir par les esprits sur les volontés, et par les volontés sur les organes qui manient le fer et le feu. Je ne dis rien de plus. C’est déjà un problème que de savoir comment nos propres idées agissent sur nos propres organes; il paraît que Leibnitz ne s’en est pas tiré à son honneur. Je ne vais pas aggraver la chose, et dire que l’idée de l’un peut agir directement sur les organes de l’autre.

Ainsi les murailles de la Bastille et de Malte tombèrent tout naturellement, tout autrement que celles de Jéricho,... parce que leurs défenseurs avaient perdu foi en leur idée, et parce que l’idée qui apparaissait en armes devant eux les avait moralement entamés et dissous. Mais aussi, quand l’idée échoue à cette opération, elle échoue absolument, les forces naturelles et organisées ont alors tout leur effet d’extermination, et le fanatisme lui-même (je ne prends pas ce mot en mauvaise part, entendant par là tout ce qui nous enseigne à mépriser et à braver le prochain), le fanatisme, dis-je, le plus résolu est assuré d’un désastre. Sans remonter aux Thermopyles, il y en a des exemples fameux : — Saragosse, avec sa garnison et ses soixante mille habitans, prise par une armée de seize mille hommes; — la convention victorieuse au 13 vendémiaire de tout le royalisme parisien avec deux mille hommes seulement de troupes républicaines; — la Vendée qui cessa de livrer bataille quand y parurent les quinze mille hommes de la garnison de Mayence. Le fait est que l’insurrection ne peut rien contre les forces organisées, si elle n’a elle-même cette puissance de l’organisation, ou une puissance d’opinion contagieuse et dissolvante.

Ainsi, pour croire à l’opinion, on ne croit pas aux miracles, on ne révoque pas en doute les lois de la nature. Il n’est pas plus vrai de dire que j’argumente ici d’une exception que je conclus du particulier au général, de l’accident à la règle. Il vous plairait peut-être de nier la puissance de l’opinion et de réduire ses œuvres à la condition de quelques merveilleux hasards, attendu que le passé vous apparaît tout chargé d’abus séculaires, de violences immémoriales, sillonné çà et là seulement par quelques coups de tonnerre contre les oppresseurs. Cependant le passé n’a pas à beaucoup près cette monotonie. Ce qui est abus aujourd’hui ne l’a pas toujours été, et ce qui sera demain un bienfait n’est peut-être qu’aventure aujourd’hui. C’est avec cette précaution qu’il faut lire l’histoire.

Prenez bien garde que telle institution, une iniquité maudite sur ses fins, débuta peut-être comme un bienfait. C’est ce qu’on pourrait dire et prouver, sans grand effort d’érudition, à l’égard soit de la monarchie absolue en France, soit du régime féodal, soit même de l’esclavage. Arrêtons-nous un peu sur ce point de l’esclavage,