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ces conseils souverains qui représentent la nation, mais qui n’ont aucune action directe, aucune supériorité hiérarchique sur les forces organisées, lesquelles, en toute société bien faite, sont uniquement sous la main du pouvoir exécutif? Tandis que les castes nous apparaissent armées de toutes pièces en pareil conflit, le droit commun et la nation, organe de ce droit, semblent absolument désarmés. On dirait hardiment, si l’on parvenait à oublier l’histoire, que les castes tiendront avec énergie et succès, tandis que la nation, loin de gagner la bataille, ne pourra pas même la livrer. Telles sont en effet les vraisemblances grossières; mais tout autre est la vérité.

Percez cette enveloppe, évoquez le passé : il vous dira deux grandes choses des plus péremptoires. — La première, c’est que les castes, avec tous leurs services et leur prestige, ont péri sous le poids de la monarchie, qui s’est faite administrative et absolue, les supplantant, les écrasant à merci; — la seconde, c’est que cette monarchie elle-même, victorieuse des castes, a péri sous le poids de la nation, alors que la nation était simplement une puissance morale, avant qu’elle fut une puissance constituée : d’où je conclus que la nation, avec les lois qui l’ont instituée souveraine, aura une force de plus contre l’absolutisme, et même toute la force désirable ou imaginable, celle des mœurs et des institutions acquise au nombre. On voit là clairement que ce qui est arrivé en 1830 devait arriver, et ne peut être traité de pur accident. Quand tel est le passé, je suis autorisé à croire que le despotisme ne pourrait se fonder là où périrent les corps privilégiés. Comment toutes les révoltes d’esprit et de fait qui détruisirent l’arbitraire des castes laisseraient-elles debout l’arbitraire monarchique? Est-ce que la société n’a pas toujours ces trésors de justice et de colère qui abolirent dans les anciennes forces le pouvoir de l’homme sur l’homme? Est-ce qu’elle ne reconnaîtrait pas toujours cet objet d’horreur dans toute monarchie absolue?

Nous venons d’esquisser l’attitude respective des castes et d’une nation en face de l’attentat monarchique : il nous reste à expliquer ceci.

Quelle est donc cette puissance nouvelle par où se défend le droit des peuples, par où les protestans, entre autres, sont plus assurés aujourd’hui de leur culte qu’ils ne l’étaient autrefois avec leurs places de sûreté? C’est l’opinion. Cette force n’est pas nouvelle, mais naturelle comme l’esprit et le sens moral, qui sont apparemment une certaine partie de nous-mêmes. À ce titre, elle est immémoriale, et le passé est plein de ses prouesses. C’est elle qui a fait au genre humain les destinées meilleures dont il a pris possession, qui a relevé l’esclave, l’enfant, la femme, le débiteur, le serf,