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C’est au surplus son procédé général. Sans doute elle crée des sacerdoces, des académies et des universités qui semblent faits pour établir une discipline littéraire et même une règle des croyances. Sans doute elle attire une cour près du monarque, d’où l’on pourrait attendre quelque empire de la mode et du goût. Sans doute, ainsi que nous l’avons dit, elle laisse le gouvernement se rassembler sur un point, en un faisceau de fonctions et d’influences; mais en même temps elle oppose sur tous les points, à toutes les puissances officielles et constituées, une puissance rivale qui est le groupement des esprits et l’armement de l’opinion dans une capitale. Pourquoi donc n’y aurait-il que l’officiel pour pratiquer la concentration et l’unité, quand c’est l’allure qui plaît partout? Ici le privé se montre, sous forme de capitale, une autorité qui n’est pas publique, qui n’a pas titre d’office pour gouverner les idées, le goût, la mode, le sens politique, mais qui gouverne tout cela, impérieuse et obéie comme on ne l’est pas. Vous avez là une puissance qui est celle non-seulement du nombre, mais de l’âme qui s’y développe et qui s’en exhale : mens agitat molem ; ce que j’explique, chez le plus sociable des peuples, par la fascination qui attire au centre les forces vives du pays, par la fermentation qui naît de ce contact, par la flamme qui s’échappe de ce foyer. De là un légitime empire, celui d’une supériorité.

Ainsi une capitale trois fois douée, attractive, éducatrice, rayonnante, fait partie de la centralisation. A tous ces titres, une capitale exemplaire, c’est Paris, et la marque triomphante où l’on reconnaît, ici comme nulle part, tout ce que vaut l’esprit centralisé, c’est que le peuple de Paris ne fut jamais cette vile populace qui cria de nos jours : Viva il rey netto! ou qui criait en Judée : Crucifiez-le ! Une idée n’y est jamais trop grande pour être populaire : de si haut qu’elle émane, elle n’est incomprise et disproportionnée nulle part, ce qui honore un peuple et justifie ses aspirations démocratiques.

Cela entendu, tout s’explique dans un pays centralisé, tout ce qui semblait au premier abord lui être impossible et défendu : liberté, grandeur, prospérité. Cette capitale est un organe par où le pays se développe en dehors et peut-être en dépit du gouvernement, un foyer d’où la chaleur et la vie se répandent partout, — la vie intellectuelle, quand les idées écloses dans la capitale s’en échappent sur l’aile des journaux et des livres, — la vie économique sous forme de capitaux gagnés au centre et cherchant en province la consolidation financière, — la vie politique, quand les partis, agglomérés au centre en comités-directeurs, vont répandre et proposer leurs candidats aux provinces.

Voilà donc le commerce qui s’établit entre les provinces et le