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esprit, qui réussit à tout, échouerait-il à la liberté? Pourquoi n’y mettrait-il pas son goût et son honneur? Si nous excellons, centralisés que nous sommes, à tous les arts de l’esprit et à toutes les prospérités économiques, il faut bien croire que la centralisation ne jette pas un voile et une chaîne sur l’esprit, sur les forces d’une nation. Elle n’a pas nui à nos facultés industrielles et intellectuelles : pourquoi nuirait-elle à nos propriétés, à nos destinées politiques et libérales?

Un régime sous lequel un pays doit décliner et s’abîmer, c’est ainsi qu’on nous représente la centralisation. Un pays centralisé, mais vivant et progressif, telle nous apparaît la France. Qu’est-ce qui a tort ici? Est-ce le fait que nous venons de décrire ou l’objection, la théorie que nous venons d’exposer? Le fait saute aux yeux; mais de son côté la théorie est irréfutable dans les données où elle procède. Seulement il n’est pas clair qu’elle ait compris ou dénombré, comme dit l’école, toutes les données du sujet. Si la centralisation était simplement l’unité du pouvoir exécutif, la prépondérance, l’ingérence de ce pouvoir ainsi fait en toutes choses de la vie locale ou même individuelle, il est certain qu’un pays en mourrait; mais elle est bien autre chose : elle a des harmonies, des couronnemens dont ses adversaires n’ont pas tenu compte. J’en veux venir à ceci, qu’elle crée une capitale.

En effet, du même fond que tous les pouvoirs se réunissent sur un point, il plaît à toutes les existences, à tous les intérêts, à tous les travaux, à toutes les idées, d’y converger et de s’y accumuler; de là le règne d’une capitale. Sans doute vous y trouvez tous les services publics et toutes les affaires publiques dans une seule main, mais aussi bien toute la concentration et toute la discipline des partis; bref, l’unité de l’opinion publique, parallèle à l’unité du gouvernement. Vous pouvez bien croire que si un peuple a quelque forte inclination, il y abondera de toutes parts. Or l’inclination française est pour l’unité, et tout s’ajuste à cette mesure, non-seulement l’état, mais la société, — non-seulement les pouvoirs publics et les arrangemens de territoire et de souveraineté, mais les conceptions d’art, de religion, de philosophie, — non-seulement les ouvrages d’esprit, mais l’exercice du droit et de l’action politique parmi les citoyens. Arrêtons-nous sur ce dernier point, où nous tenons notre sujet. Ici l’instinct d’unité aura cet effet de condenser quelque part tout le contrôle des affaires publiques, tout le travail des ambitions, toute l’élaboration et la propagande des doctrines : par où l’on voit que si la centralisation est une force pour le gouvernement, elle n’en est pas moins une pour le pays; elle arme tout à la fois le principe d’autorité et le principe de liberté.