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côte d’Afrique. Ils se croyaient encore à quatre-vingts lieues au large, quand ils touchèrent dans la barre qui sans interruption s’étend du cap Mirik au Cap-Vert. Dès que la nouvelle du naufrage parvint à Saint-Louis, l’Etoile fut expédiée pour recueillir l’équipage naufragé, qui avait gagné la terre, et ce qu’on pourrait sauver du navire et de sa cargaison. Si ce fut pour nous tous une rude corvée, ce sont de ces corvées que chacun recherche, que tous sont heureux d’accomplir. C’est dans ces dures et tristes épreuves de la vie à la mer qu’éclatent ces sentimens d’affectueuse compassion, de solidarité, de dévouement, qui, semblables à des perles enfouies dans l’Océan, se cachent au plus profond du cœur de nos matelots aux allures en apparence si brusques et si insouciantes.

Le sauvetage du Rollon dura trois jours. L’Etoile recueillit tous les débris qui pouvaient avoir quelque valeur sur le marché de Saint-Louis ; la vente en constituait seule, d’après la loi maritime, les gages de l’équipage naufragé, et nos matelots, qui n’ignoraient point cette circonstance, mirent à cette tâche le dévouement le plus absolu, l’obstination la plus courageuse. Aussi n’abandonnâmes-nous à la mer que ce qu’elle avait déjà conquis. La mâture tout entière coupée au ras du pont, le gréement, les voiles, les embarcations furent sauvés. Quant à la cargaison elle-même, le navire s’était entr’ouvert en touchant, et avait été envahi par les lames : elles déferlaient sur le pont avec une force qui rendait aussi plus méritoire le dévouement de nos hommes. Ce naufrage à quarante lieues au nord de Saint-Louis, sur une côte où naguère le cheik des Trarza exerçait dans toute sa plénitude le droit d’épave, donna une nouvelle preuve des heureuses modifications que l’esprit de ces tribus a subies à la suite des dernières guerres. L’équipage du Rollon, pendant les quelques jours qu’il passa sur la côte, n’éprouva aucun mauvais traitement. Il n’est pas douteux que dix années plus tôt le navire eût été pillé et les naufragés emmenés en esclavage. Tout au contraire les Maures, que l’événement avait attirés, nous aidèrent en partie dans l’accomplissement de notre tâche, et ne montrèrent en aucune façon l’avidité caractéristique de leur race.

Bien que le naufrage du Rollon s’explique tout à fait par l’épuisement des forces de l’équipage, la maladie du capitaine et du second, seuls capables de donner la route, il est certain que l’hydrographie de toute cette partie de la côte est entachée d’erreurs qui pourraient être fatales à d’autres navires. À dix lieues au-dessus de Saint-Louis, la côte s’infléchit en courant au nord-est, au lieu de se diriger presque en ligne droite vers le nord jusqu’au cap Mirik. J’avais eu déjà l’occasion de remarquer cette erreur, qui ressortit avec évidence de ce dernier voyage. Dans les deux traversées de