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Cependant cette révolution pouvait devenir, comme tant de fois à Whydah, à Jack-Jack, à Petit-Popos, à Lagos, l’arrêt de mort de ces malheureux captifs pour lesquels aucun acheteur ne se présentait. Les démarches, les conseils, la noble initiative d’un obscur traitant prévinrent un aussi déplorable résultat. Grâce à l’influence qu’il exerçait sur les chefs indigènes, ces esclaves furent employés à la culture de l’arachide. Cette graine précieuse commençait à être appréciée sur nos marchés industriels, et il était facile de deviner le rôle important que lui réservait l’avenir. Le premier essai de cette culture produisit, il y a une vingtaine d’années, 80,000 boisseaux seulement. Le mouvement commercial de la récolte de tous les rias pour l’année 1859 peut être évalué à 8 millions de francs. Cette vigoureuse impulsion, due à une pensée généreuse et féconde, n’a pas cessé d’entraîner, en les relevant de l’abjection où la traite les tenait plongées, les populations riveraines. La traite parmi elles est devenue presque impossible, non-seulement parce que la surveillance de nos croiseurs, celle des chefs de nos comptoirs, est toujours vigilante et active, mais encore parce que les chefs de la plupart de ces tribus comprennent mieux de jour en jour les richesses assurées du travail.

Malgré le voisinage de Sainte-Marie-de-Bathurst au nord, celui de Sierra-Leone au sud, et quoique la France ne revendique aucun droit exclusif à la possession de ces rivières, si ce n’est peut-être de la Cazamance, l’élément français domine dans ces pays, où toutes les nations civilisées sont néanmoins représentées. C’est certainement à l’initiative de nos négocians qu’est due cette heureuse transformation. Nous avons, en 1860, visité tous les rios avec l’Étoile, au grand mât de laquelle flottait le pavillon du gouverneur. Le but de ce voyage était de montrer que la protection de la France était acquise à ces courageux pionniers de la civilisation moderne, d’écouter leurs plaintes, leurs réclamations, de juger enfin de l’état réel du pays. Tout dans les hommes et les choses portait la marque de la confiance et du succès, partout se montrait cet essor commercial que nous venons de signaler ; mais c’est surtout au Rio-Nuñez que l’on peut tout d’abord en reconnaître les indices assurés. Depuis Victoria jusqu’à Kakandi, limite de la navigation du fleuve, à chaque instant apparaissent des maisons élégantes, au-dessus desquelles flottent les couleurs des nations civilisées, — Angleterre, France, Belgique, états de l’Union américaine ; — ce sont les factoreries nouvelles. Autour de ces villas se groupent parfois des villages entiers et toujours de grands magasins, dépôts des récoltes agricoles, où s’entassent les arachides, le sésame et d’autres graines oléagineuses. De lourds wagons les transportent sur des chemins de fer