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par nos obus s’était communiqué de proche en proche par les toits de paille des maisons ; près du tata même, les flammes délogeaient les tirailleurs qui le cernaient. Les explosions de nombreux amas de poudre (ruse que nous avons apprise aux indigènes) soulevaient une poussière brûlante qui se mêlait aux flammèches emportées par le vent. On se battait littéralement sous une pluie de feu. L’air embrasé par l’incendie, la chaleur du soleil africain, les fatigues de la journée, épuisaient les forces des soldats ; quelques-uns, comme le lieutenant d’artillerie H. de Cintré, tombaient frappés d’insolation, et on les transportait à l’ambulance presque mourans. Il était temps que la prise du réduit mît fin à cette lutte acharnée. Le commandant Faron en suivait, malgré la gravité de ses blessures, toutes les péripéties, et avec quelle anxiété ! il est facile de le comprendre. Couché dans son manteau, à l’ombre du baobab le plus rapproché du village, il avait, comme je l’ai dit, donné l’ordre de la dernière attaque. Chaque détonation, chaque sonnerie éveillait mille pensées dans son esprit. Aussi, quand je vins lui annoncer le succès définitif de la journée, un inexprimable sourire de joie illumina sa figure, pâlie par des souffrances qu’il surmontait avec une admirable énergie. Prendre toutes les précautions nécessaires pour faire camper les troupes, tels furent les ordres qu’il me transmit et dont je hâtai l’exécution.

La certitude que l’expédition ne durerait que quelques jours, la nécessité de tout transporter à bras d’hommes, et par suite de ne pas trop surcharger les soldats, avaient empêché d’emporter les tentes, les couvertures même. Le camp fut donc vite établi. Néanmoins, quand les grand’-gardes et les postes qu’exigeait un retour offensif possible, quoique peu probable, de l’ennemi, eurent été placés, la nuit était déjà venue. Je pense que pour tous, excepté pour les blessés et les sentinelles, ce fut une nuit de repos profond. Les premières clartés de l’aurore nous annoncèrent une journée aussi fatigante, sinon aussi meurtrière, que celle de la veille. Achever la destruction du village, faire sauter les murailles du réduit, ensevelir nos morts, évacuer les blessés sur Diougoun-Tourè, y ramener ensuite la colonne, tels étaient les travaux qui pour nous devaient remplir cette journée, et auxquels contribuèrent heureusement des renforts que le commandant de la flottille avait conduits lui-même. Quant aux auxiliaires, ils poursuivaient dans toutes les directions les fugitifs, ramassant les bœufs, brûlant les moissons qui eussent servi plus tard aux ennemis, faisant enfin le plus possible de captifs parmi cette population de six mille âmes que notre approche avait dispersée.

Nos pertes étaient relativement très considérables : plus de cent