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rière lesquelles, la première enceinte franchie, les habitans pourraient se défendre pied à pied. De grandes mares d’eau s’étendaient comme des fossés naturels devant la face principale, et devaient être pour nous une précieuse ressource, bien qu’elles rendissent l’attaque plus difficile. Derrière le village, la plaine se relevait légèrement jusqu’aux premières hauteurs d’une chaîne de collines dont les sommets boisés apparaissaient à grande distance. C’est par là que nos auxiliaires devaient arriver pour couper toute retraite aux fugitifs. Le silence le plus profond régnait dans la plaine, et nul être vivant, nulle figure ennemie ne troublait la solitude du paysage : on eût dit une ville endormie ou abandonnée la veille par tous ses habitans.

Soudain les sourdes détonations du canon, les bruits stridens des fusées, le pétillement des obus, déchirent ce silence. Les premiers ordres du commandant s’exécutent. Tous les regards sont dirigés vers le village : seuls, de grands vautours au col chauve s’élèvent en tourbillonnant dans les airs, mais rien n’indique derrière les remparts que nos coups aient porté ; le village reste plongé dans cette même immobilité morne et silencieuse. Les détonations se succèdent plus rapides ; les obus, les fusées labourent l’espace qui nous sépare des murailles, éclatent au-dessus des toits en paille, où déjà quelques nuages de fumée grise annoncent leur effet destructeur. Même silence profond, même solitude. Guémou a-t-il été abandonné de ses défenseurs ? Est-ce au contraire le présage d’une lutte acharnée, que la mort seule fera cesser sur les ruines de la ville, comme l’ont juré Adama et ses guerriers ? La canonnade cesse. Dans un silence solennel, que quelques ordres interrompent seuls, deux colonnes d’assaut se forment rapidement ; chacune d’elles doit attaquer le village aux deux angles de la muraille en face. Les baïonnettes aux canons, défense de tirer un seul coup de fusil. Les tambours, les clairons battent la charge, les colonnes s’ébranlent en même temps, se rapprochent d’un pas rapide du village, toujours silencieux. Encore quelques instans, et elles touchent au but. Tout à coup un nuage de fumée entoure les murailles d’une écharpe bleue. Des fossés profonds où ils sont restés jusqu’alors couchés à l’abri de nos fusées et de nos obus, cinq cents hommes se sont levés et nous foudroient à cinquante pas. Les balles sifflent ; quelques-uns de nous tombent pour ne plus se relever. « Serrez les rangs, en avant ! » crient les officiers. Une seconde décharge passe presque en entier au-dessus de nos têtes, la muraille est franchie, nos baïonnettes sont rouges de sang. Ville prise, ville gagnée !

La ville n’est ni prise ni gagnée. Les mouvemens que je viens de résumer en quelques lignes étaient ceux de la colonne de gauche, que j’avais l’honneur de commander. Cette colonne était composée