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une attente de huit jours, nous pûmes enfin reprendre notre voyage. Si d’un côté nos instructions nous ordonnaient la plus grande célérité, des nouvelles de Tébécou nous avaient appris que les matériaux que nous transportions étaient impatiemment attendus. Les passages de Sarpoli, où le fleuve tourne plusieurs fois sur lui-même comme un serpent, celui de Djuldè-Diabè, où, par la nature du fond, les sables se déplacent chaque année et créent de nouvelles barrières, effrayaient sans doute nos pilotes et présageaient à l’équipage de rudes fatigues ; mais nous savions trop le prix du temps pour que toute considération étrangère ne fût pas écartée. Sarpoli ne nous prit que quelques heures ; mais à Djuldè-Diabè, pendant deux journées entières, nous restâmes échoués en travers du courant, à côté du Podor, qui nous avait devancés. Des ancres élongées dans les directions les plus favorables, des aussières amarrées sur les troncs des tamariniers qui bordent la rive, la machine lancée à toute vapeur, les efforts les plus énergiques au cabestan, nous retirèrent enfin de cette position, plus contrariante que dangereuse. Le coude de Oualla, qui devait plus tard nous être moins propice, fut franchi sans encombre, et quelques heures après nous mouillions à côté de l’Africain, en face d’un petit monticule au-dessus duquel flottait le pavillon de la France, qui nous avait annoncé de loin le terme de notre voyage.

Des huttes, des gourbis, des tentes semés à la base du mamelon, au pied de tamariniers à l’épais feuillage, des matériaux épars sur la berge, des instrumens de travail amassés sous des hangars improvisés, deux obusiers de montagne en batterie, et auprès desquels des factionnaires en uniforme se promenaient lentement, et sur la rive même les travailleurs réunis en groupes bruyans, dans les costumes les plus variés de travail, des noirs aux boubous blancs ou bleus, des enfans déguenillés riant aux éclats, des femmes portant sur la tête de grandes calebasses d’eau puisée au fleuve, et s’arrêtant, malgré leur fardeau, pour nous voir arriver, tel était le spectacle qui nous frappa quand nous laissâmes tomber l’ancre. Cette activité bruyante, cette animation joyeuse, ce mélange de deux races opposées, réunies par ce lien tout-puissant du travail, contrastaient avec le calme et le silence des solitudes que nous venions de traverser.

À peine l’Etoile était-elle amarrée près de la rive que je me rendis auprès du capitaine du génie Fulcran, chargé de la construction de la tour et commandant le poste de Tébécou. Quoique ce fût notre première rencontre, à nous voir tous deux assis sur un banc rustique en face d’une table en bois blanc, charpentée à grands coups de hache, on aurait pu croire que deux vieux amis venaient de se retrouver. Ceux-là qui ont vécu de la vie sous la tente, ceux-là qui