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la société, ils sont pourtant admis partout, dans les fêtes comme dans les conseils les plus secrets des chefs indigènes.

Dès qu’on s’éloigne de Saint-Louis, cette animation, ce mouvement s’effacent complètement, mais du moins le pays n’offre plus l’aspect aride et désolé de la barre et de la terre de Barbarie, qui tout d’abord cause une impression si pénible à l’Européen, D’immenses prairies, qu’on pourrait appeler, comme celles du Texas, la mer des herbes, couvrent tout l’espace compris entre Saint-Louis et Richard-Toll. Quelques éminences, dont on a profité pour bâtir les tours de Lampsar, de N’diadoune et de Maka, arrêtent seules le regard, et encore ces éminences sont-elles très rapprochées de Saint-Louis ; mais quand on a dépassé Maka, à trois heures de la capitale du fleuve, ces collines disparaissent : les plaines du Djeuleuss, refuge ordinaire des Maures pillards, s’étendent à perte de vue, bien au-delà de Merinaghen, jusqu’aux forêts de gommiers du Djiolof, que nul Européen n’a visitées. Les marigots sans nombre qui les traversent, et dont les principaux sont, avec la Tawey, ceux de Lampsar et de Gouroum, forment dans la saison sèche un archipel inextricable où errent d’immenses troupeaux d’antilopes et de gazelles. Les perdrix, les pintades, y vivent en compagnies serrées, et vers Merinaghen les girafes, les éléphans, les hippopotames et les fauves de toute espèce abondent. Quand la crue des eaux atteint son maximum, toutes ces îles disparaissent, tous ces canaux se confondent, et à la même place se forme en quelques jours un lac immense qui parfois se joint à celui du Paniè-Foull. Un de nos officiers les plus aventureux, M. le lieutenant de vaisseau Braouzec, a vainement essayé d’en fixer les limites dans un voyage entrepris, pendant la grande inondation de 1861, sur le petit steamer qu’il commandait.

Cette constitution du pays, cette périodicité des inondations expliquent l’état d’abandon des rives du fleuve dans cette partie de son cours. La guerre avec les Maures, dont le Oualo était le prix, n’a pas été une cause moins puissante du dépeuplement. Malgré la sécurité que notre souveraineté donne aujourd’hui aux populations, les villages bâtis sur les hauteurs que les eaux n’atteignent que rarement se rétablissent avec lenteur. Néanmoins à quelques lieues de Richard-Toll le niveau du sol s’élève, et des villages assez rapprochés couvrent la rive gauche. Théâtre d’essais agricoles sous l’administration du baron Roger, Richard-Toll (le jardin de Richard) possède le territoire le plus fertile du bas du fleuve. De nouveaux essais tentés sur une moins grande échelle, mais plus sérieusement peut-être, réaliseront sans doute les espérances conçues autrefois.

De Richard-Toll à Dagana, l’aspect des deux rives change complètement. Ce sont toujours, il est vrai, des plaines basses, aux