Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stérile végétation des solitudes sénégalaises a envahi le territoire de ces villages, autrefois si populeux, tandis que les cultures les plus riches et les plus soignées couvrent les deux rives du marigot, et révèlent ainsi les sentimens d’hostilité que les Toucouleurs conservent contre nous, aussi bien que l’énergie et les richesses de ces peuples. La région où ils sont venus concentrer leurs forces et chercher un refuge contre nous répond d’ailleurs par sa constitution géographique à ce double but : à une distance variable des rives du marigot, mais qui, en moyenne, est de cinq ou six lieues, s’élèvent en effet d’assez hautes collines que l’inondation n’atteint jamais, et qu’on peut, pour cette raison, regarder comme les rives véritables du Sénégal dans cette partie de son cours. Désignées par les gens de Saint-Louis sous le nom de Grand’-Terre, ces collines établissent une voie de communication ininterrompue de Dagana à Bakel, se dirigeant presque en droite ligne de l’est à l’ouest. C’est la route que suivent en toute saison les caravanes qui vont commercer dans l’intérieur, celle que prennent les bandes de Maures pillards qui, avec les gens du Fouta, les Laobe et les Peuls Ourourbè, vont ravager le Djiolof, avec lequel ils sont presque toujours en guerre ; enfin, lorsque les hostilités éclatent avec nous, c’est sur ces hauteurs que les femmes, les enfans, les troupeaux, les esclaves des Toucouleurs trouvent un abri assuré. Presque tous les villages toucouleurs, Médina, Goléré, Orefondé même, peuvent, il est vrai, être atteints par nos colonnes expéditionnaires ; mais dans leur marche le fleuve sert toujours de base aux opérations : s’en écarter et s’avancer à quelques lieues de ses rives serait compromettre le succès, s’exposer aux chances fatales de la maladie, aux coups foudroyans d’un soleil meurtrier. Si l’expérience a fait connaître aux indigènes la supériorité de nos armes, elle leur apprend aussi à plus compter sur le climat et les fatigues de nos soldats que sur leur propre bravoure ; aussi peu leur importe l’incendie de leurs villages, quand leurs troupeaux, leurs esclaves, sont à l’abri de nos coups. La fumée de nos bateaux à vapeur n’a pas disparu de l’horizon que déjà ils ont commencé à les reconstruire ; après quelques jours, toute trace de l’incendie a disparu. Les bœufs et les troupeaux errent dans les vastes plaines des bords du fleuve, les esclaves ont repris leurs travaux des champs ; rien n’est changé dans le paysage, rien n’est changé dans l’esprit, dans les résolutions, dans les projets des vaincus.

On conçoit dès lors l’importance de cette chaîne de collines au point de vue de notre domination dans ces pays : elle n’y sera établie sans conteste, sans crainte d’un retour offensif des gens du Fouta, qu’autant, pour me servir d’une énergique expression anglaise, que nous briderons le pays entier par une chaîne de postes construits sur les hauteurs et analogues à ceux de Saldè, de Ma-