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et leur état-major de monde officiel encouragèrent, le mouvement. L’état reçut les souscriptions dans ses caisses. Dans les villes, dans les cantons ruraux où des comités de souscription n’étaient pas organisés, les percepteurs recevaient les offrandes. Rien de semblable ne s’est passé pour les cent trente mille ouvriers de la Seine-Inférieure condamnés au chômage. Leur malheur n’a pas été annoncé par les signes étourdissans d’un cataclysme physique. La misère cette fois s’est introduite parmi nous sournoisement. Ce n’a point été le flot d’un déluge emportant en un clin d’œil les digues de pierre et dévastant les campagnes : c’est le dénûment s’attaquant à des digues humaines et les affouillant pierre à pierre, c’est-à-dire homme par homme, dans l’obscurité et dans le silence. Il y a dans les origines et la marche d’une crise industrielle quelque chose d’abstrait et de complexe qui se dérobe à l’attention, et ne pénètre que peu à peu et à grands renforts d’explications dans l’intelligence et la sympathie publiques. Pourtant les effets, réels de ces crises ne sont pas moins douloureux que ceux des grandes colères de la nature ; c’est toujours la chair et l’âme de l’homme et de masses humaines qui palpitent dans l’étreinte de la misère. Ces infortunes qui ne se dénoncent pas elles-mêmes par le fracas d’un désastre matériel sont donc plus dignes encore d’intérêt que les autres ; plus que les autres, elles ont besoin d’être révélées, protégées, secourues par les efforts de l’initiative privée, par le zèle et le dévouement d’une publicité vigilante. C’est ce qui nous a fait regretter au début la lenteur, les hésitations de la presse française envers la détresse du département de la Seine-Inférieure. Nous avons déploré qu’elle n’ait pas compris tout de suite que c’était à elle d’aller arracher à la Normandie son douloureux secret, que c’était à elle d’aller au-devant de cette pauvreté honteuse et timorée pour la faire connaître et comprendre au pays, que c’était à elle de faire en cette circonstance un sincère effort de liberté, et de le consacrer à une bonne action nationale.

À l’heure qu’il est cependant et bien qu’on ait perdu trop de temps à organiser la chaîne de secours, l’impulsion est donnée, et le cœur du pays commence à être ému. Le mouvement se produit tard, mais il arrivé encore à propos, car malheureusement la misère au sein des populations ouvrières de Normandie est aussi grande qu’elle l’ait jamais été depuis deux mois. En Angleterre, le travail reprend un peu dans l’industrie cotonnière et le chômage diminue. Il n’en est point encore ainsi en Seine-Inférieure. Des informations de Rouen toutes récentes nous apprennent que l’intensité du mal ne diminue pas, qu’il n’est pas encore possible d’en prévoir le terme, que le mal atteint des proportions qui ne peuvent être exactement connues, que chaque jour le nombre des malheureux grossit par la révélation de misères jusqu’à présent ignorées. Il ne faut cependant pas désespérer que la fraternité publique ne puisse apporter des soulagemens efficaces à cette détresse. Depuis quelques jours, le mouvement des souscriptions s’est généralisé et accéléré, et la presse lui prête un plus actif concours.