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glaises, tandis que sur notre sol français des milliers de Français, à trente ou quarante lieues de Paris, souffraient sans qu’un écho de leurs gémissemens nous fût apporté par la presse française ? Mais pourquoi, dira-t-on, les chefs d’industrie de Rouen n’ont-ils point signalé eux-mêmes le mal tout de suite ? Cela eût été facile dans les pays où les citoyens sont accoutumés par la liberté à compter sur eux-mêmes, c’est-à-dire à se mouvoir dans leur sphère d’action légitime ; mais il n’en est pas ainsi en France : nous n’avons pas l’habitude de l’initiative privée, nous n’avons pas la liberté de réunion et la plate-forme retentissante des meetings. Il eût fallu alors s’adresser à la presse. La presse ! Qui dans ce pays affronte la publicité sans trembler ? Ne se serait-on pas exposé au reproche périlleux d’exciter une agitation factice, de troubler la tranquillité publique, de propager de fausses alarmes ? La misère, c’est l’attribut naturel de l’aristocratique Angleterre ; mais ne serait-ce pas manquer de patriotisme que d’annoncer qu’il peut y avoir en France cent mille ouvriers sans salaire et sans pain ? Nous comprenons les scrupules, les timidités des personnes honorables et dévouées qui ont organisé le comité de bienfaisance de la Seine-Inférieure, à l’endroit de la publicité et de la presse. Ils ne sont point coupables du retard regrettable que leur circonspection a mis à la réparation du mal ; ce retard ne doit être imputé qu’à nos imparfaites institutions et aux mœurs publiques que ces institutions nous ont données.. Ils ont même agi prudemment peut-être pour le succès de leur œuvre en s’interdisant toute relation avec les journaux. Ils ont mis ainsi leur charitable entreprise à l’abri de tout prétexte de défaveur. La vérité, lente à se révéler, a fini pour ainsi dire par faire explosion toute seule. Si l’élan de la France n’a pas été assez prompt, si de cruelles douleurs ont été trop tardivement secourues, on ne doit donc en accuser que les tristes causes qui empêchent ce pays de s’accoutumer à compter sur lui-même.

Cependant, qu’on veuille bien le remarquer, si le secours complet et rapide de la publicité était dû à un malheur, public, c’était bien à un désastre de la nature de celui qui frappe nos ouvriers cotonniers. Cette calamité n’était pas en effet de celles qui se manifestent du premier coup et, s’imposent à l’attention générale par une révélation matérielle et violente. Cette détresse ne ressemblait point par exemple à ce fléau des inondations qui émut la France il y a quelques années. Lors des dernières inondations du Rhône, le pays tout entier fut averti sur-le-champ par l’impétuosité du fléau et par ses ravages monstrueux. Là le mal était à la fois instantané et visible dans toute son horreur. Aussi l’élan de la nation fut-il soudain et général. Une souscription publique fut ouverte sur-le-champ ; elle produisit douze millions. Tout vint en aide à cette souscription : les personnes opulentes mesurèrent leurs offrandes au dommage, et apportèrent des souscriptions dignes d’elles ; l’administration prêta dans cette œuvre un large. concours à l’initiative privée ; les préfets, si influens dans nos départemens,