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le rhétoricien Charlevoix, que Lahontan n’est pas un voyageur, que son voyage est une fiction, qu’on à écrit pour lui, etc. Ils l’ont dit, non prouvé. Tout indique que réellement il habita l’Amérique de 1683 à 1692. Peu importe d’ailleurs. Tout ce qu’il dit est confirmé par d’autres relations. Ce qui lui appartient, c’est moins la nouveauté des faits que le génie avec lequel il les présente, sa vivacité véridique (on la sent à chaque ligne). Il y a un accent vigoureux d’homme et de montagnard. Gentilhomme basque ou béarnais, ruiné par une entreprise patriotique de son père, qui eût voulu régler l’Adour pour exploiter les bois des Pyrénées, Lahontan courut l’Amérique, n’obtint pas justice à Versailles, et passa en Danemark. Il a imprimé en Hollande en toute liberté. Il expose, raconte, conclut rarement. Toutefois ce qu’avaient déjà dit pour l’éducation Rabelais, Montaigne, Coménius, ce qu’avait dit en médecine le grand Hoffmann (1692), Lahontan l’enseigne en 1700 : « Revenez à la nature. » le siècle qui commence n’est qu’un commentaire de ce mot.

Deux choses éclatent par son livre : l’accord des voyageurs laïques, — la discordance des missionnaires.

L’accord des premiers est parfait. Les seules différences qu’on trouve chez eux, c’est que les premiers, Cartier, Champlain, parlent surtout des tribus acadiennes, algonkines, etc., demi-agricoles, de mœurs fort relâchées, et les autres des Iroquois, d’une confédération héroïque et quasi Spartiate, qui dominait ou menaçait les autres.

Quant aux missionnaires, ils composaient deux grandes familles rivales : — les récollets, pieds nus de saint François, qui avaient plus de cinq cents couvents dans le Nouveau-Monde, moines grossiers et illettrés, agréables aux sauvages pour leurs pieds nus, mais peu réservés dans leurs mœurs ; — les jésuites, plus décens et plus politiques, prudens avec les femmes, ne vivant qu’avec leurs élèves convertis, les jeunes sauvages.

Les récollets disaient que les Indiens étaient des brutes, infiniment difficiles à instruire. Ils ne parlaient dans leurs relations que des tribus avilies, dégradées, faisaient croire que la promiscuité était la loi de l’Amérique. Les jésuites rabaissaient moins les sauvages, les déclaraient intelligens, prétendaient en tirer parti. Ils mentaient sur deux points, sur la religion des Indiens, qu’ils donnaient pour culte du diable ; sur les conversions, plus menteurs que les récollets, ils soutenaient en opérer beaucoup, et profondes et durables. Sur tout cela, Lahontan déchira le rideau.

Les fameuses Relations des jésuites (1611-1672), lettres qu’ils envoyaient du Canada presque de mois en mois, avaient été un demi-siècle l’édifiant journal de l’Europe, journal intéressant, mêlé de bonnes descriptions, de touchans actes de martyrs, de miracles,