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Indes, ils confondent les deux continens sous ce magique nom, toujours de grand effet : les îles !

Des Hespérides à Robinson, tout le mystère du monde est dans les îles. Là, le trésor caché de la nature, la toison d’or, ou, ce qui vaut autant, les élixirs de vie qu’on vend au poids de l’or. Pour d’autres, c’est l’amour, le libre amour qui vit aux îles. Sans parler de la Calypso, dès le seizième siècle, le cordelier Thévet, dans les hardis mensonges de sa cosmographie, nous conte les amans naufragés dans les îles. Toujours la même histoire, Manon Lescaut, Virginie, Atala ! le français naît Paul ou René. Plusieurs faits pour l’amour mobile, élargissent les îles, préfèrent l’horizon infini des grandes forêts américaines, la vie du promeneur, hôte errant des tribus, favorisé la nuit du caprice des belles Indiennes, libre au matin, joyeux, sans soin, sans souvenir. C’est le rêve du coureur de bois.

Quoiqu’on lût peu, les livres, ceux de Hollande, défendus et proscrits, les manuscrits furtifs, avaient grande action ; on se passait Boulainvilliers, son ingénieuse apologie de Mahomet et du mahométisme. Mais rien n’eut plus d’effet que le livre hardi et brillant de Lahontan sur les sauvages, son frontispice où l’Indien foule aux pieds les sceptres et les codes (leges et sceptra terit), les lois, les rois. C’est le vif coup d’archet qui, vingt ans avant les Lettres persanes, ouvre le dix-huitième siècle.

Le voile épais et lourd dont les livres de missionnaires avaient caché le monde se trouve déchiré. Leur thèse ridicule que l’homme non chrétien n’est pas homme : est d’un coup réduite à néant. Plus de privilégiés de Dieu ! Plus d’élus, mais tous frères ! L’identité du genre humain !

Un siècle auparavant, Montaigne avait hasardé de dire que ces nations étranges nous valaient bien. Seulement il s’était amusé aux discordances apparentes qui semblaient accuser une Babel morale en ce monde. Pascal en abusa pour nier la raison et l’accord de la vérité. Au siècle nouveau qui commence, on ne fait plus la faute de Montaigne. Tout au contraire on pose l’accord profond de la nature, la concordance des croyances et des mœurs. Les collections de voyages, imprimées et réimprimées, nos voyageurs, simples, mais de grand sens, un Bernier, un Chardin, firent déjà réfléchir. Le savant anglais Hyde montra que le parsisme fut originairement le culte du vrai Dieu (1700). Les jésuites eux-mêmes disaient que les Chinois en possédaient la connaissance et adoraient le Dieu du ciel. À l’autre bout du monde, chez les sauvages d’Amérique, le Grand-Esprit nous apparut de même.

Les jésuites se sont dépêchés de faire dire par leur professeur,