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il avait fait jaillir de terre deux créations vivantes, deux cités sœurs, unies par tant de liens, qu’elles n’en étaient qu’une au fond : la république de banque, en vigueur déjà, en prospérité depuis trois ans, au grand avantage de l’état, — la république de commerce, compagnie d’Occident, qui bientôt fut aussi celle du commerce d’Orient et du monde : — l’une et l’autre gouvernées par ceux qui avaient intérêt au bon gouvernement, leurs propres actionnaires. Dans cette foule, cette nation d’actionnaires de plus en plus nombreuse, toute la France entrait peu à peu. Et toute, sans s’en apercevoir, elle se transformait par la puissance du principe moderne : la royauté de soi par soi, le self-government.

Le plus piquant dans cette création d’une république financière qui aurait absorbé l’état, c’est qu’elle avait pour fauteur et complice l’état qu’elle devait absorber. Le régent était de cœur pour Law. Tous deux se ressemblaient. Le prince, novateur et de bonne heure crédule aux utopistes, se fit vivement l’associé de ce prophète de la bourse, apôtre humanitaire qui voulait que chacun fût actionnaire, associé, joueur, joueur heureux. Law, multipliant la richesse, allait faire du royaume un vaste tapis vert où l’on ne pourrait perdre, où tous réussiraient. Que dis-je ? le royaume !… le monde, les deux mondes allaient entrer ensemble dans un immense jeu où l’humanité même eût gagné la partie.

En attendant, le déficit croissait. Le régent en était-il cause ? Fort peu par ses dépenses personnelles. Il donnait peu à ses maîtresses. Il dota ses bâtards avec des biens d’église. Même à sa fille, il ne donna qu’une petite maison, la Muette. S’il prit Meudon pour elle, quand elle fut enceinte, ce fut en échange d’Amboise, qui était de sa dot. Il n’y avait pas de cour, et rien n’était plus simple que le Palais-Royal ; ce palais et Saint-Cloud étaient de petites résidences où l’on ne pouvait s’étaler. Qu’était-ce que la vie du régent, et celle du petit roi encore, en comparaison du gouffre de la Vienne impériale ? Grossière et monstrueuse noce de Gamache qui durait toute l’année, épouvantable aimée de courtisans, de gardes, de gentilshommes, dames, laquais, cuisiniers, marmitons, et que sais-je ? valets de valets et serviteurs de serviteurs, par vingt, trente et quarante mille ! On recule. D’ici on sent ces cuisines de Gargantua, ces énormes chaudières, ces broches échelonnées à l’infini, ces masses de viandes fumantes ! À Paris, rien de comparable alors. La régence n’a pas eu le temps d’inventer les raffinemens coûteux que trouveront plus tard les fermiers-généraux. Les recherches luxueuses du siècle vieillissant sont ignorées encore. Le plaisir sans façon suffit.

Le défaut du régent était bien moins de dépenser que de ne point savoir refuser. Il était né la main ouverte, et tout lui échappait. Il