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et fort. Ce fut le parti de l’argent, le tout jeune parti de la banque, auquel se réunit bien vite la haute propriété, bref un grand parti riche, qui acheta, gouverna le peuple, ou le jeta à la mer, — je veux dire lui ouvrit le commerce du monde.

Ce parti de l’argent se vantait d’être le parti patriote, et la grande originalité de l’Angleterre, c’est que cela était vrai. La classe des rentiers et possesseurs d’effets publics, spéculateurs, etc., qui était pour les autres états un élément d’énervation, pour elle était une vraie force nationale. Cette classe fut et le moteur et le régulateur de la machine. Elle poussa tout entière d’un côté. Il y eut impulsion et non fluctuation. Au moment critique de 1688, l’Angleterre flottait encore. Ni l’église, ni la propriété territoriale, ces prétendus élémens de fixité, ne lui donnaient aucune base. Les propriétaires étaient divisés : tories et non-tories, catholiques et non-catholiques, jacobites et non-jacobites. L’église n’était pas moins divisée contre elle-même, — l’anglicane faussée par son credo absolutiste jusqu’à regretter Jacques II ! Et il eut même des puritains pour lui ! Des puritains regrettaient le jésuite I Que serait devenu Guillaume à la révolution sans le fanatisme héroïque de nos réfugiés !

Par la création de la banque, par la dette publique, par la formation de certaines compagnies patronnées de l’état, un monde nouveau fut évoqué et sortit de la terre, suspendu uniquement à la cause de la liberté, à la révolution protestante et parlementaire, nullement flottant ou divisé, mais serré en masse compacte par l’identité redoutable des idées et des intérêts. Ce fut le cœur, le nerf des whigs. Ceux-ci avaient fait au dernier vivant avec la liberté publique. Que le roi catholique revînt, le propriétaire restait propriétaire, et même l’évêque anglican serait resté évêque ; mais le rentier ne restait pas rentier. Il savait cela à merveille. Ce fut sa ferme foi que le gouvernement de droit divin ne paierait nullement les dettes de la révolution.

Mais pour comprendre bien cette singularité anglaise, il faut envisager, dans la généralité de l’Europe, un grand fait qui commence sous ses deux caractères : l’épargne et le placement, la spéculation et le jeu.

Le jeu précède l’épargne. Qui a peu garde moins, mais risque, hasarde volontiers, afin d’avoir beaucoup. On a vu quelque chose de cela du temps d’Henri IV et pendant la guerre de trente ans, les fameuses loteries d’Italie, où jouait toute l’Europe, les jeux de cartes et jeux de guerre, la manie furieuse de chercher la fortune par toutes les voies de hasard, intrigues ou batailles. Au fond, même génie. Wallenstein fut un joueur, Mazarin un tricheur. Le froid calculateur