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causés par les crises révolutionnaires que d’énumérer seulement les ruines matérielles qu’elles entassent, les innocens qu’elles frappent dans leur existence ou dans leur fortune. Il faut aussi faire entrer en ligne de compte les âmes qu’elles pervertissent, qu’elles perdent. Telle est la faiblesse humaine que les lois de la religion et de la morale seraient impuissantes pour préserver la plupart des hommes des chutes les plus déplorables, s’ils n’étaient aussi retenus par les barrières, de l’ordre social, par ces habitudes, ces traditions, ces associations d’idées, ces mille liens dont un petit nombre de natures fortes surent se dégager, quelquefois pour leur bien et pour le bien général, plus souvent pour leur malheur et au détriment du public, mais qui, en temps ordinaire, enchaînent d’une manière irrésistible les natures faibles et communes, c’est-à-dire l’immense majorité du genre humain. Que ces liens viennent à être brisés par quelqu’un de ces bouleversemens qui renversent les pouvoirs publics, un effroyable désordre envahit aussitôt les âmes, et quiconque n’est pas soutenu par des principes inébranlables, quiconque ne réunit pas à une raison droite une grande fermeté de caractère, risque de se perdre dans les voies les plus funestes. Et ce n’est pas seulement dans la vie publique qu’éclate cette pernicieuse anarchie : elle s’étend à la vie privée, elle pénètre dans les familles, elle lâche la bride à tous les mauvais penchans qui, dans l’état normal, n’auraient osé dépasser certaines limites et peut-être, faute d’occasions, se seraient ignorés eux-mêmes. Sans doute ceux qui échappent à une aussi fatale influence sortent de ces épreuves plus forts et meilleurs ; mais, c’est le petit nombre. Sous ce rapport, les révolutions, même les plus indispensables, car il en est de telles, sont encore de grands malheurs, et c’est un motif de plus pour que la réprobation publique en atteigne les auteurs, c’est-à-dire, car il ne faut pas d’équivoque à ce sujet, ceux qui les rendent nécessaires par leur faute et leur aveugle résistance aux besoins du temps, comme ceux qui les provoquent quand elles ne sont pas nécessaires.

On trouvera peut-être que j’ai parlé bien longuement d’un homme qui n’a joué en définitive qu’un rôle secondaire, qui n’a point eu l’importance d’un chef de parti, qui ne s’est signalé ni par l’éloquence, ni par de grands talens. Les singularités de son caractère, les considérations morales que j’ai cru pouvoir rattacher à sa triste histoire, me serviront d’excuse. Il m’a semblé d’ailleurs que c’était une occasion naturelle de rectifier quelques-unes des notions erronées qui subsistent encore au sujet de la révolution. À l’époque où les souvenirs en étaient encore récens, où les hommes qui avaient vu la terreur composaient une grande partie de la population, personne n’aurait osé prendre hautement la défense de ces temps néfastes,