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Un tel argument, sans servir la cause de Le Bon, devait mettre mal à l’aise la plupart de ceux qui l’écoutaient. Un membre du comité de sûreté générale, Pierret, intervenant par forme de motion d’ordre, se plaignit de la manière dont il discutait, lui reprocha de s’être continuellement livré à des divagations qui faisaient dans le public une impression fâcheuse, d’avoir adopté un système de défense vraiment déshonorant, et demanda qu’il ne lui fût plus permis de jouer à la tribune le rôle d’un comédien ou d’un extravagant, qu’on l’obligeât à sortir des vaines généralités, à répondre article par article sur les divers points de l’accusation, en sorte qu’on pût en finir sans désemparer. Pour donner plus de poids à sa proposition, il affirma d’un ton mystérieux que des rapports parvenus au comité sur l’état des esprits démontraient la nécessité absolue de ne pas prolonger le débat. Un décret conforme à cette proposition fut rendu aussitôt, mais rapporté ensuite sur les instances d’un député proscrit pendant la terreur comme fédéraliste et royaliste, rentré tout récemment dans l’assemblée, et qui s’éleva avec une noble chaleur contre une mesure dont le caractère rappelait, quoique de bien loin, ces attentats à la liberté de la défense si fréquens avant le 9 thermidor. Ce député s’appelait Delahaye. Il était beau de voir ce modéré, ce royaliste, venir invoquer les droits de la justice en faveur de Joseph Le Bon contre le zèle intempérant d’anciens jacobins convertis. La seule réflexion que cette circonstance suggère à M. Emile Le Bon, c’est que la convention s’était montrée bien docile aux exigences croissantes de la contre-révolution en rappelant dans son sein un homme contre qui s’élevaient des soupçons de royalisme !

Le débat continua. Le Bon réclama les papiers qu’on avait saisis au moment de son arrestation, mais personne ne put ou ne voulut dire ce qu’ils étaient devenus. Il déclara alors qu’il renonçait à se défendre. Cependant, voyant qu’on allait passer outre, il consentit à donner des explications. À la séance suivante, Roux de la Marne représenta que tant de lenteurs mettaient la chose publique en danger, que d’ailleurs le prévenu pourrait se défendre aussi longtemps qu’il voudrait devant le tribunal auquel il serait renvoyé, et il demanda que la convention se déclarât en permanence jusqu’à ce qu’elle se fût prononcée sur la proposition de la commission. Cette motion fut adoptée sans opposition. À deux heures du matin, la mise en accusation fut votée en principe. Quatre jours après, le 29 messidor, la commission proposa la rédaction du décret exigé, qui était conforme aux conclusions du rapport et maintenait tous les griefs énoncés contre l’accusé à l’exception de celui de vols et concussions. Comme le tribunal révolutionnaire venait d’être supprimé, Le Bon fut envoyé devant le tribunal criminel d’Amiens, procédant pour