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te trouvent aussi insensible que ton époux à l’espoir et à la crainte.., Redouble donc d’énergie ; que chacun des traits dont ils me perceront redouble ton courage, au lieu de le diminuer ! Je ne suis point encore dans le tonneau de Régulus, et tu sembles te désoler ?… Représente-toi la femme de ce fameux Romain, et, en comparant sa position à la tienne, juge de tes devoirs… »

Ce que Joseph Le Bon s’efforce d’inspirer à sa compagne, c’est la résignation. Il essaie de lui persuader que, dans les circonstances où la France se trouve placée, l’homme de bien persécuté, livré à tant de manœuvres ténébreuses, d’infernales machinations, ne saurait regretter la vie en voyant dans toute leur turpitude ceux au milieu desquels il aurait à vivre, que sa mort, si ses ennemis viennent à bout de l’obtenir, n’aura fait que donner une impulsion plus énergique à la révolution, que les martyrs de l’égalité ne périssent jamais inutilement, et que le sang des républicains est une semence vigoureuse d’où renaissent des républicains plus terribles encore aux tyrans. Des considérations de cette espèce, présentées, à titre de consolations, par tout autre que le principal intéressé, seraient des lieux-communs misérables et presque ridicules ; dans la bouche d’un homme que l’échafaud menace, reproduites sous toutes les formes pendant une année entière dans une correspondance intime, elles ont un tout autre caractère.

Ce qui domine toute cette correspondance, c’est l’amour tendre et passionné de Le Bon pour sa femme, sa préoccupation constante de tout ce qui la touche et la confiance sans bornes qu’il a en elle. L’expression en est souvent touchante par sa simplicité même. Au milieu de ses souffrances, il se trouve heureux d’avoir une telle compagne. Sa joie est au comble lorsqu’il apprend qu’elle est heureusement accouchée d’un fils. « Ton image et celle de la petite famille, lui écrit-il, m’occupent uniquement dans la captivité, et sous ce point de vue mes fers même ont des charmes. Autrefois, lancé dans une carrière difficile et rebutante, je trouvais à peine le loisir de penser aux objets de mon amour, aux sources de mon bonheur. Aujourd’hui, dispensé de servir ma patrie autrement que par ma constance dans les revers, je repasse les délicieux instans que j’ai coulés près de toi, je m’y arrête, je les savoure, et tu m’en deviens plus précieuse, » Dans une autre lettre, on lit ce passage : « Privé du plaisir de voir nos enfans, je m’en console ici parfois en considérant ceux des autres, en les suivant dans leurs petits jeux et dans les premières expressions de leurs sentimens. » Des traits de la sentimentalité alors à la mode, qui paraissent aujourd’hui parfaitement ridicules, surtout de la part d’un tel homme, se mêlent à ces élans d’une sensibilité vraie. C’est ainsi qu’en envoyant son portrait à sa femme, il en donne cette explication : « Je présente à quelqu’un