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dispositions et n’infecte votre âme. Vous savez, par une funeste expérience, combien son poison est subtil ; rappelez-vous toutes les peines qu’il m’a causées, tandis que vous étiez auprès de moi. Il y a un an à peu près… que je suais sang et eau pour vous ramener à des principes justes et raisonnables ; redoublez d’ardeur et ne laissez point échapper les occasions favorables de vous affermir dans l’amour de vos devoirs… On ne saurait apporter dans nos collèges trop de régularité ; les embarras, les soins, les distractions, en font déjà trop perdre… »

À côté de ces conseils si affectueux, si précis, si sensés, on trouve dans les lettres d’où je viens de les extraire des détails sur la vie que Le Bon menait à l’institution de Beaune. On voit qu’il y avait pris un goût passionné pour les travaux de l’enseignement, qu’il y goûtait un véritable bonheur, sauf quelques traverses dont il ne nous fait pas connaître la nature. Il ne concevait même pas comment il lui serait possible de s’habituer à une autre existence.

Agé de vingt-quatre ans, il venait de recevoir l’ordre de la prêtrise lorsqu’éclata la révolution. Il ne l’avait nullement appelée de ses vœux, et ses sentimens y étaient plutôt contraires que favorables. Cependant il ne tarda pas à se laisser entraîner à l’enthousiasme qui alors s’empara de toutes les imaginations ardentes, et qui poussa même d’abord vers les innovations bon nombre de prêtres et de religieux, particulièrement dans l’ordre de l’Oratoire. Sa popularité s’en accrut dans la ville de Beaune, fort dévouée aux idées nouvelles ; mais la bienveillance que ses confrères et ses supérieurs lui avaient portée jusqu’à cette époque en fut affaiblie dans la même proportion. Dès le mois de mars 1790, un incident singulier vint rompre les liens qui l’attachaient à eux. La ville de Dijon se préparait à célébrer une solennité patriotique qui devait être en quelque sorte le prélude de la grande fédération du 14 juillet. Quelques élèves de la classe de rhétorique que dirigeait Joseph Le Bon s’échappèrent du collège pour aller assister à cette fête. Les chefs de l’établissement, que leurs sentimens politiques disposaient à juger sévèrement cette infraction à la discipline, en rejetèrent la responsabilité sur le professeur, dont les opinions bien connues avaient dû exercer de l’influence sur les jeunes gens qui écoutaient ses leçons. Assailli des plus vifs reproches, il se mit sur-le-champ à la poursuite des fugitifs, les atteignit à quelques lieues de Beaune, et fit si bien par ses exhortations que, le soir même, ils rentrèrent avec lui au collège ; puis, dans un mouvement d’excitation facile à comprendre, il détacha de ses épaules son insigne d’oratorien, et, le déchirant en deux, déclara qu’à partir de ce moment il cessait d’appartenir à la congrégation. Calmé par le repos de la nuit, il voulut