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les plantes surtout, attendaient avec impatience ces mois pluvieux qui rendent la vie à la nature entière, mais qui parfois aussi lancent sur la côte, depuis le golfe de Cutch jusqu’à Geylan, des tempêtes désastreuses.

Enfin tombèrent les premières gouttes de pluie, et les oiseaux firent retentir l’air de leurs gazouillemens joyeux. Les coteaux changeaient de couleur à vue d’œil, le feuillage, roussi par les feux du soleil, reprenait partout sa teinte verte. Il s’exhalait de la terre de chaudes vapeurs qui accéléraient encore la végétation, et mille plantes délicates, qui étaient tombées par l’effet de la sécheresse, comme ailleurs elles s’affaissent par l’intensité du froid, couvrirent de nouveau le sol rajeuni, Puis avec les averses sans cesse renouvelées arriva le vent du large, qui soulevait devant lui de grosses vagues et secouait avec violence les branches des arbres. Bientôt ce fut un ouragan, réveil terrible de cette nature placide qui semblait sommeiller depuis si longtemps. Les cocotiers échevelés se courbaient sous les efforts de la tempête ; l’écume des flots, qui bondissaient sur le sable, passait par-dessus la terrasse du jardin au milieu duquel s’élevait la villa du capitaine Mackinson. Les brisans qui marquent l’extrémité de la petite île de Colabah disparaissaient sous les vagues monstrueuses qui venaient les assaillir avec un bruit formidable, et toujours la foudre éclatait à travers les hautes montagnes qui hérissent la cote mahratte. La splendeur habituelle du jour avait fait place à une obscurité profonde ; le soleil, qui poursuivait sa marche caché derrière les nuages accumulés, réchauffait leurs masses opaques et les forçait à se résoudre en torrens.

Aucun navire ne se montrait sur la mer en fureur ; les barques arabes qui n’avaient pu partir avant la mousson s’étaient retirées dans les parties les mieux abritées de la rade, et les bateaux pêcheurs, cachés au fond des criques, attendaient la fin des gros temps pour reprendre le large. Le capitaine Mackinson hasardait de rares promenades hors de chez lui ; il passait habituellement ses jours à fumer son narguilé et à parcourir les journaux que les bateaux à vapeur apportaient par le Golfe-Persique. Captive dans l’intérieur de sa maison, Nella s’appliquait à lire des livres d’histoire : elle avait honte d’être encore si peu instruite à son âge ; mais souvent, tandis que son regard était fixé sur les feuillets ouverts devant elle, son esprit inquiet s’envolait à travers l’espace, et elle songeait aux périls que courent les navigateurs durant la mousson. Un matin, le vent soufflant avec moins de violence et le ciel s’étant un peu éclairci, elle partit à cheval avec son père pour prendre l’air sur la grève. Gaôrie, appuyée sur la terrasse faisant face à la mer, considérait sa jeune maîtresse qui manœuvrait avec grâce son poney