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d’ici là nous avons six mois devant nous… Holà ! vous autres, arrêtez, nous traverserons le jardin à pied pour donner au kohsamah le temps de faire allumer les lampes.

Les porteurs de palanquins firent halte à la porte du jardin. Gaôrie aida sa jeune maîtresse à descendre et marcha à ses côtés, tandis que le capitaine s’élançait d’un pied leste à travers l’allée principale. La lune brillait d’un vif éclat, et les bosquets, plantés d’arbustes aux larges feuilles, de la famille des aloès et des dragonniers, se coloraient d’une lumière plus blanche que l’argent. Au milieu de cette douce et limpide clarté parut la hideuse vieille femme qui avait épouvanté Gaôrie la nuit précédente et dans le même lieu. Elle fit un pas en avant, tourna sur elle-même, et secoua sa chevelure grise en murmurant quelques paroles inintelligibles. Gaôrie frissonna, et, entraînant Nella vers la porte du salon, qui s’ouvrait toute grande pour recevoir le capitaine Mackinson, elle répéta d’une voix étouffée : — Malheur, malheur à nous, Nella !


V. — LA MOUSSON.

Le capitaine Mackinson avait promis à sir Edgar de lui faire connaître tous les genres de chasse qui se pratiquent dans l’Inde. Il tint si bien sa parole que son jeune ami, fatigué outre mesure par cette série non interrompue de fêtes cynégétiques, ne tarda pas à ressentir les effets du climat dangereux de Bombay. Un jour qu’il se promenait lentement dans le jardin du capitaine Mackinson, miné par la fièvre et se soutenant avec peine, miss Nella s’approcha de lui. Elle avait renoncé à son costume de fantaisie et suivait les modes anglaises avec une rigoureuse exactitude.

— Sir Edgar, dit-elle d’une voix affectueuse, vous avez bravé notre soleil, et il se venge… Prenez garde !

— Oh ! répliqua le malade, j’observe fidèlement les prescriptions du docteur auquel votre père m’a confié.

— Voulez-vous me croire ? Eh bien ! je vais vous parler avec… courage.

— Suis-je donc perdu ? demanda sir Edgar en levant sur elle un œil que la fièvre rendait étincelant.

— Vous êtes très malade, et les médecins n’ont point encore trouvé le secret de guérir tous ceux qu’ils traitent. Croyez-moi, sir Edgar, partez !… Embarquez-vous sur le premier navire qui fera voile pour l’Europe ; le changement d’air peut seul vous sauver.

— Vous me chassez ? dit sir Edgar, essayant de sourire.

— Oui, je vous chasse d’un pays où vous n’avez peut-être pas un