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1848, n’a produit aucune de ces œuvres éclatantes et d’une importance presque universelle, comme elle en pouvait montrer dans les périodes précédentes. Qui donc voudrait placer le Gladiateur de Ravenne au même rang que les drames de Schiller ? Qui pourrait saluer en M. Freytag un génie créateur ou adopter comme un nouveau Lessing cet ambitieux M. Julien Schmidt, qui certes a perdu tout droit de médire de « la légèreté et de la frivolité des Welches » après ses deux inqualifiables volumes d’une prétendue histoire de la littérature française du XIXe siècle ? On ne rencontre guère non plus dans le monde intellectuel d’au-delà du Rhin une de ces directions prédominantes[1] qui autrefois entraînaient pour un certain temps dans leur tourbillon les esprits les plus divers, pénétraient presque toutes les branches de la science et leur imprimaient un cachet, devenaient un centre d’attraction et de lumière pour tous les corps savans. Seule, la philologie comparée y rappelle encore cette tendance conquérante naguère si générale, et l’étude du sanscrit, de plus en plus développée, fait des empiétemens très contestables sur le domaine de l’histoire, de la religion, des antiquités, et produit des ravages qui ne laissent pas d’inquiéter un peu. Prises dans leur ensemble néanmoins, les études en Allemagne tendent bien plus à se séparer qu’à se confondre, et cette décentralisation a déjà sa marque extérieure dans la disparition successive de vénérables recueils, tels que les recueils littéraires de Halle et d’Iéna, anciens organes encyclopédiques de l’érudition universitaire. La science se spécialise, subit la grande loi de la division du travail, et ce qu’elle perd ainsi quant à l’imposant effet d’un grand tout, quant au côté idéal et philosophique, elle le regagne de nouveau du côté de l’exactitude, de l’habileté et de la perfection des détails.

L’absence d’une philosophie universelle, d’un vaste système spéculatif embrassant tous les phénomènes de la vie et les pliant à ses formules, tel est en effet le trait principal qui frappe d’abord dans le tableau que nous essayons d’esquisser. Une Allemagne qui n’aurait plus une grande doctrine philosophique, cela déconcerte et inquiète au premier abord : on pense à ce héros de Chamisso, à ce fameux Peter Schlemihl, « l’homme qui avait perdu son ombre. » Il n’en est pas moins avéré que depuis la révolution de 1848 la fameuse dialectique de l’absolu a cessé complètement de régner sur les esprits de la Germanie. C’était déjà un indice assez grave, en 1852,

  1. Pour caractériser ces directions, il suffit de nommer dans leur succession d’influence : l’antiquité classique, — la critique transcendante, — la philosophie de l’identité et celle ne l’esprit absolu, — le romantisme, — la symbolique de Creutzer, — le rationalisme de Paulus, de Strauss et de Feuerbach,— les investigations ne Grimm, etc.