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concours de M. de Bismark, on est d’autant plus porté à interroger un passé oublié jusqu’ici presque à dessein, qu’une publication récente en est venue réveiller singulièrement les souvenirs et apporter des détails inédits sur cette époque déjà reculée. Le journal de M. de Varnhagen von Ense ; — le Dangeau libéral, hargneux, compromettant au plus haut degré, aimable en somme, de la cour de Berlin, — ce journal posthume a eu dans ces derniers temps un véritable succès d’à-propos. Pour n’apprendre rien d’essentiellement nouveau et d’inattendu sur les antécédens de Guillaume Ier, il n’en a pas moins ajouté quelques traits curieux au tableau. Il n’est pas douteux que le prince de Prusse n’eût fait une opposition énergique aux velléités libérales qui signalèrent les débuts du règne de 1840. Il s’était fait élaborer des mémoires à consulter qui établissaient son droit de veto dans tout changement des lois fondamentales de l’état. Le bruit d’une protestation formelle déposée en son nom et en celui de ses descendans contre tout projet de constitution trouva un moment du crédit jusqu’au sein du ministère. Enfin il ne donna son consentement à la patente du 3 février 1847 que sous la réserve expresse qu’il y aurait une chambre haute, que les états ne statueraient pas sur le budget et ne s’occuperaient jamais des affaires étrangères : ces conditions ne furent acceptées par le roi qu’après une longue discussion en conseil. Aussi l’impopularité de l’héritier présomptif fut-elle grande avant la révolution de 1848 ; pendant le fatal mois de mars de cette année, c’est contre lui surtout que se déchaîna la fureur des habitans de Berlin, qui lui attribuaient (et à tort) l’ordre donné aux troupes de faire feu sur le peuple. Il dut alors quitter le pays pour une « mission » à Londres, et la multitude ne se refusa point la satisfaction d’inscrire sur le palais du fugitif les mots de propriété nationale. Revenu d’Angleterre après le triomphe de la réaction, le prince se fit remarquer par l’empressement qu’il mit à se placer à la tête des troupes pour aller étouffer dans le pays de Bade une insurrection ridicule, et on sait déjà les « circonstances militaires » qui l’empêchèrent d’assister à la séance du 6 février 1850, où le roi prêta serment à la charte. Il est juste néanmoins de dire que, dans l’opposition faite longtemps par l’héritier présomptif aux tendances libérales de son frère, il entra peut-être autant de bon sens et de méfiance légitime de l’esprit romanesque du roi que d’aversion, en apparence incurable, contre les principes modernes. On ne saurait dans tous les cas contester la justesse de l’objection suivante adressée un jour par ce prince à Frédéric-Guillaume IV : — Comment pouvait-il sérieusement penser à laisser discuter le budget par des chambres, lui qui s’irritait déjà du moindre refus opposé à son caprice ?