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du ministre dans l’avortement du projet caressé par MM. de Gerlach. La nouvelle de cette mort jeta la consternation dans le parti féodal ; les dames de la cour portèrent ostensiblement à leur cou le portrait de « l’impérial martyr » en guise d’amulette, et le cabinet de Berlin saisit cette occasion de proposer aux alliés une médiation qui fut repoussée avec un dédain à peine déguisé. Quand arriva enfin l’époque des conférences de paix à Paris, les hauts contractans furent d’accord pour tenir la Prusse éloignée des débats aussi longtemps que possible ; ils ne l’admirent qu’après être convenus de tous les points principaux, comme s’ils n’avaient besoin que de sa signature, et l’Allemagne, humiliée et frémissante, n’eut pas tort, à certains égards, de comparer le voyage de M. de Manteuffel à Paris en 1856 à celui qu’il fit cinq ans auparavant à Olmütz.

Tel fut le rôle dérisoire joué par une grande puissance, par cette monarchie de Prusse, dans la plus grave des affaires contemporaines du monde, dans cette même crise européenne où un petit état au-delà des Alpes avait su prendre une attitude si habile, si résolue, et tenter cette fortune qui n’a cessé depuis de lui témoigner ses faveurs. Pourquoi l’historien de la Prusse constitutionnelle est-il toujours amené, et presque malgré lui, à opposer dans toute grave occasion le gouvernement de Turin à celui de Berlin, à illustrer tout revers sur les bords de la Sprée par un succès sur les bords de la Doire ? Avec quel empressement, avec quelle fièvre d’action le Piémont s’est-il jeté dans cette guerre d’Orient ! La précipitation fut si grande qu’il en oublia même les simples convenances diplomatiques, et que ses soldats voguaient déjà vers la Crimée avant qu’il eût encore pensé à notifier à la Russie son hostilité. Il était bien question des règles de Vattel ou des scrupules chrétiens sur un secours prêté aux mécréans ! Il s’agissait tout simplement de faire acte de vie, de s’unir aux intérêts de l’Occident et de figurer dans une grande entreprise européenne. Aussi le Piémont recueillit-il bien vite les fruits d’une politique qui n’avait de l’étourderie que l’apparence : ses régimens luttèrent avec honneur à côté des plus vaillantes armées de l’univers, et acquirent le droit de répondre par le souvenir de la Tchernaïa à la pensée poignante de Novare ; son nom retentit dans toutes les bouches, et bientôt son plénipotentiaire prit place à côté de celui de l’Autriche dans un congrès réuni pour délibérer de la paix du monde. Tandis que M. de Manteuffel discutait encore sur le mode de son admission aux conférences de Paris, M. de Cavour y siégeait déjà depuis longtemps, prenait la parole sur les points les plus importans de la politique générale ; il put même, bonheur immense et presque inespéré, plaider devant le tribunal du monde les