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faire un corps et s’organiser en église, qu’il eût défini « le soi-disant progrès comme le grand procès de dissolution des temps modernes, » et opposé le principe d’autorité non plus, comme c’est l’usage, au principe de révolution, mais au « principe bien autrement pernicieux de majorité, » ce sont là ces jeux d’esprit et parfois même ces simples jeux de mots auxquels est fatalement condamnée toute intelligence en guerre avec la raison du siècle et le droit invincible, de la liberté. Tout cela a été dit depuis longtemps par M. de Maistre avec plus de verve, et surtout avec plus de brièveté, ce qui n’est pas un mince mérite assurément dans le domaine du paradoxe. Bornons-nous plutôt à constater l’étrange hasard qui faisait du roturier fils de ses œuvres, du rejeton d’une race déshéritée, le magister et le chef d’une cause basée sur le privilège de naissance et les intérêts d’une caste aussi superbe que paresseuse. Hasard seulement, ou peut-être bien fatalité pleine d’enseignement ! Les légitimistes en France, et de nos jours, n’ont-ils pas de même emprunté presque tout leur éclat et leur illustration au talent d’un plébéien qui voulut bien les envelopper dans les plis de sa majestueuse éloquence ? Il ne manque pas certes encore ; aujourd’hui d’à-propos ce passage du grand satirique romain ::[1], où le patricien si orgueilleux de ses ancêtres et se disant volontiers « Cécropide, » — le fils des croisés de ce temps, — est cependant réduit à chercher parmi la plèbe l’orateur puissant, le défenseur de la cause d’une noblesse ignorante ! Les tories de l’Angleterre n’ont-ils pas, eux aussi, pour leader un homme dont le nom seul rappelle déjà la même origine que celle de M. Stahl ? Il est juste de dire toutefois que c’est là du reste la seule similitude qu’on pourrait équitablement établir entre la fière phalange que dirige M. Disraeli et les hobereaux du Brandebourg et de la Poméranie.

Que si on voulait maintenant résumer en mie vue d’ensemble le travail de la réaction en Prusse après 1848, on pourrait le définir par les trois directions suivantes : il consistait à favoriser l’ordre équestre aux dépens de tous les autres, à mettre le bon plaisir bureaucratique à l’abri de toute revendication de la loi, et à restreindre la liberté des consciences par les prétentions d’une église d’état. Abandon formel de la loi communale au profit des gentilshommes représentés dans les assemblées de districts et de provinces, suppression

  1. Vos humiles, inquis, vulgi pars ultitna nostri,
    Quorum nemo queat patriam monstrare parentis :
    Ast ego Cecropides. Vivas, et originis hujus
    Gaudia longa feras : tamen ima plebe Quiritem
    Facundum invenies : solet hic defendere caussas
    Nobilis indocti