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au-delà même de 1701, et de rétablir l’ordre équestre (ritterstand) dans ses droits antiques et sacrés !…

Ce royaume de Prusse présente encore, à l’heure qu’il est, un bizarre assemblage d’organismes différens qui sont loin de composer un tout homogène, et ne font que se heurter à chaque instant, qu’empêcher tout développement sain et régulier. À côté d’une monarchie constitutionnelle, vous y voyez un état bureaucratique et militaire des plus fortement organisés d’après les principes de l’absolutisme, et les débris d’un régime nobiliaire qui, au milieu du XIXe siècle, entretient les traditions et les institutions les moins respectables du moyen âge. On le croirait à peine, il y a quatre ans encore, dans ce pays si justement orgueilleux de ses lumières et qui porte si fièrement le drapeau de la libre pensée, tout mariage conclu entre un noble et une bourgeoise était illégitime selon le code[1], et l’enfant né d’une telle union déclaré bâtard ! Toutefois la noblesse en Prusse a depuis longtemps perdu le caractère d’un grand corps politique, si même elle l’avait jamais possédé. Déjà Frédéric-Guillaume Ier avait déclaré dans son temps aux il oligarques d’un arpent (acker-oligarchen) » sa ferme volonté « d’établir la souveraineté comme un rocher de bronze, » et le développement ultérieur de la monarchie n’était pas fait pour cultiver dans l’ordre équestre l’esprit aristocratique dans la bonne et digne acception du mot, dans le sens d’une mâle indépendance envers la couronne, d’une défense jalouse de ses propres droits aussi bien que de ceux du peuple. Sans doute les nobles concentraient en leurs mains toutes les charges de la cour, ils étaient favorisés au plus haut point dans l’armée et les emplois civils, ils conservaient des exemptions et exerçaient des droits féodaux assez mortifians pour le bourgeois et le vilain ; mais ils durent se plier, comme tous les autres, aux conditions d’un état éminemment militaire et bureaucratique. Ce fut Frédéric-Guillaume IV qui le premier eut la pensée de donner à l’ordre équestre l’apparence d’un corps politique véritable par la création de ses « curies ; » mais l’année 1843 emporta ce malencontreux essai comme tant d’autres. L’idée était naïve, à coup sûr, de vouloir fonder maintenant une féodalité puissante après la nouvelle éruption de la démocratie dans cette année 1848, dans un pays dressé depuis si longtemps au régime des capacités de par « l’examen d’état » (staats examen), et de chercher les élémens d’une telle création dans une noblesse

  1. Pendant la dernière discussion de la chambre haute sur l’abolition de cette monstrueuse loi, un membre des plus modérés du parti féodal s’étant écrié : « Il sera donc désormais permis que le rejeton d’une famille illustre épouse une fille perdue ! — Mais cela est permis déjà aujourd’hui même, répondit avec malice le commissaire du gouvernement, pourvu que la fille perdue soit noble, elle aussi ! »