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dire le dur relief de l’île comme une cire molle soumise à leur caprice ; mais ici le caprice ne consiste que dans l’étreinte corps à corps de deux lois également fatales, logiques par conséquent, car ce que nous appelons fatalité est la logique même, et l’homme qui les observe arrive à saisir leur puissance d’impulsion et à camper en toute sécurité sur cette terre mobile, si souvent remaniée dans les âges anciens, et qui change encore manifestement de forme et d’emploi sur une partie de sa surface.

Pour nous, cette île enchantée, passablement terrible, a toujours été un type des plus intéressans. Nos fréquens rapports avec M. Maillard durant les dix dernières années de son séjour à La Réunion nous avaient initié à une partie de sa flore, de sa faune et de ses particularités géologiques. Plus anciennement encore, un autre ami spécialement botaniste, après un séjour de quelques années dans ces parages, nous avait rapporté de précieux échantillons et des souvenirs pleins de poésie. Ce fut le rêve de notre jeunesse d’aller voir les grands brûlés et les fraîches ravines de Bourbon. Quand l’âge des projets est passé, c’est un vif plaisir que de se promener dans son rêve rétrospectif avec un excellent guide, et ce guide, à qui rien n’est resté étranger durant vingt-six ans d’explorations aventureuses et de travaux assidus, c’est l’auteur des notes que nous avons sous les yeux.

Ingénieur colonial à La Réunion, M. Maillard s’est trouvé là, en présence de la mer et du volcan, le représentant d’une troisième force, le travail humain aux prises avec les impétueuses et implacables forces d’expansion de la nature. Le temps n’est plus où le Dieu hébreu défiait Job de dire à la mer : « Tu n’iras pas plus loin. » Le vrai Dieu, qui veut que l’homme aille toujours plus loin, lui a permis de posséder la nature en quelque sorte, en s’y faisant place et en luttant avec elle de persévérance. Des jetées hardies et des travaux sous-marins bien calculés ouvrent aux navires les passes les plus dangereuses et défendent aux flots d’envahir les grèves où l’homme s’établit. Quand les torrens des montagnes emportent les ponts jetés sur leurs abîmes, l’homme s’attaque au torrent lui-même, lui creuse un autre lit, et l’oblige à se détourner. Les débris incandescens des volcans ravagent en vain ses cultures ; il les transporte ailleurs, et il attend. Il sait que ces déserts redeviendront fertiles, il sait aussi quels abris ces gigantesques vomissemens refroidis offriront à sa demeure, à son troupeau, à son verger, et de cette nature terrible, de ces cratères éteints, il se fait une forteresse et un jardin.

En ouvrant des routes dans la lave, en dessinant des jetées à la côte, en explorant lui-même les profondeurs sous-marines à l’aide du scaphandre, en étudiant les habitudes de l’atmosphère et ses perturbations violentes, M.L. Maillard a pu observer cette nature tropicale sous tous ses aspects. Ses notes embrassent donc tout ce qui constitue l’existence de la colonie : topographie, hydrographie, météorologie, géologie botanique, zoologie, agriculture, industrie, administration, histoire, législation, finances, statistique, arts, coutumes, biographie, travaux publics, etc. Toutes ces recherches,