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plus qu’une grande flaque de sang ; mais un enfant japonais leur montre l’endroit où on a jeté le cadavre : c’est à quelques pas seulement de la grand’route. Là, sous une vieille natte, est couché dans son sang le corps horriblement mutilé du malheureux officier. On le transporté à Yokuhama, on y constate que « Lenox Richardson, sujet britannique, a été assassiné dans le district consulaire de Kanagavva, sur la grande route qui conduit de Kanagavva à Kawasacki, par des Japonais dont les noms sont encore inconnus, et qui étaient armés de lances et de sabres ; » puis, dans un esprit d’ordre et de rare modération, tous les membres de la communauté étrangère se réunissent pour décider ce qu’il leur reste encore à faire.

M. Du Chesne de Bellecourt, le ministre français, M. le comte d’Harcourt, commandant le Monge, en rade de Yokuhama, M. Howard Vyse, le consul anglais, et avec eux l’immense majorité de la communauté étrangère, inclinaient pour des mesures décisives. « Les assassins se trouvent à une faible distance de Yokuhama, disaient-ils ; on peut aisément les surprendre et mettre la main sur eux. Il faut aller les chercher et, s’il est nécessaire, les combattre, mais en tout cas ne pas laisser passer impuni le crime qu’ils viennent de commettre. » Quelques voix prudentes se firent entendre cependant pour indiquer les difficultés qui s’opposaient à la mise à exécution d’un semblable projet. L’armée japonaise en marche sur la grande route près de Kanagawa, et à laquelle appartenaient les assassins que l’on voulait punir, comptait de huit à dix mille hommes. Que pouvaient contre cette force quelques centaines d’étrangers ? Mieux valait recourir aux mesures légales. On savait que les assassins appartenaient à l’armée du prince de Satzouma, et que c’était le père du prince régnant qui avait donné le signal du massacre. On le retrouverait, lui et ses complices ; ils ne pouvaient échapper aux recherches de la justice. M. le colonel Neale prit sur lui la responsabilité de trancher la question. Il refusa de consentir à la poursuite immédiate des assassins.

Tels sont, brièvement résumés, Les tragiques événemens qui viennent de consterner la population européenne au Japon. La question qu’ils soulèvent est des plus graves, et demande à être bien posée. Il s’agit d’obtenir une réparation de l’autorité japonaise, et par conséquent de porter ses réclamations devant cette autorité ; mais où est-elle ? La réponse n’est pas facile. L’autorité n’est pas tout entière entre les mains du souverain avec lequel nos gouvernemens ont conclu des traités, croyant conclure des traités avec le Japon. — Cette proposition semblera étrange à ceux qui ont lu les comptes-rendus des diverses ambassades occidentales au Japon. Cependant elle est vraie et généralement admise comme telle par tous ceux qu’un séjour prolongé au Japon a rais à même de se former une opinion sur l’étrange état politique de ce pays.

Le tykoun, c’est-à-dire le prince qui a signé les traités entre le Japon et les diverses puissances de l’Occident, n’est point le maître du Japon ; loin de là, il n’est pas même le premier serviteur du souverain. Entre lui et le