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Elle provient du découragement plus que de la négligence. La presse, dans le régime de monopole où elle vit, a pris l’habitude de se désintéresser des affaires intérieures, et de s’y défier de son influence au point de considérer tout effort d’initiative comme stérile lorsqu’il n’est point périlleux. Malgré la pauvre opinion qu’elle a d’elle-même, elle eût pu en cette circonstance, elle pourrait encore donner l’impulsion à un honnête et salutaire mouvement national. Elle peut seconder ce mouvement de deux façons, d’une part en prêtant libéralement sa publicité à l’œuvre du soulagement de la détresse rouennaise, de l’autre en expliquant au public l’importance sociale du résultat qu’il s’agit d’obtenir.

Une souscription publique est ouverte depuis trois semaines ; pourquoi tous les journaux n’en reproduisent-ils point les résultats ? La nature essentielle des œuvres de ce genre, c’est la publicité la plus étendue. Il n’est point question ici de ces délicatesses de la charité privée qui doit fuir le grand jour, et qui voudrait pour ainsi dire s’ignorer elle-même. Il n’est point question d’une vertu dont la pudeur est la grâce achevée. Il n’y a là autre chose qu’un devoir publiquement reconnu et rempli avec simplicité ; C’est une entreprise collective, une association véritable où le nom propre doit accompagner l’offrande, car si l’offrande est un bienfait, la publicité du nom est un exemple. Or la force d’une œuvre semblable est dans le prosélytisme, dans l’émulation et la contagion de l’exemple. Étendre la publicité des souscriptions recueillies, c’est multiplier les souscriptions futures. Quelque modeste opinion que les journaux aient de leur influence, pourquoi se sont-ils montrés si avares de leur publicité, et pour les faits qui concernent la détresse de la Seine-Inférieure, et pour les listes des souscriptions déjà obtenues ? Lors même qu’ils ne compteraient pas sur la grandeur du succès, pourquoi renonceraient-ils au mérite d’un effort si peu coûteux et surtout si peu compromettant ?

Mais nous aurions pour la presse française une ambition plus haute. Il s’est rarement présenté à elle une occasion de rendre au pays un plus grand service et de se relever dans la conscience du peuple. Il dépend d’elle, nous le croyons toujours, d’exercer sur la pensée et la direction de la souscription une influence assez grande pour donner à cette œuvre des résultats proportionnés au but poursuivi, et pour lui conserver un caractère élevé de fraternité sociale. Quelque incomplètes que soient encore les données que nous possédons sur l’étendue de la détresse, elles suffisent cependant pour que nous puissions évaluer l’importance que devrait atteindre la souscription volontaire. D’après les indications fournies par un membre du comité rouennais, M. Alphonse Cordier, la grande industrie à la mécanique occuperait dans la Seine-Inférieure, à la filature, au tissage, à l’indiennerie et à la teinture, 50,000 ouvriers, dont 30,000 sont aujourd’hui au repos. On compte en outre dans les campagnes 64,000 métiers à bras pour la fabrication des rouenneries proprement dites. Chacun de ces métiers