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impose à l’ouvrier la nécessité de l’épargne en prévision des crises dont une telle impulsion donnée au travail peut déterminer le retour. Nous dirions volontiers qu’à côté de maux trop réels, la disette du coton aura produit un grand bienfait, si cette nécessité est désormais reconnue par l’ouvrier anglais. Diverses réformes du reste viendraient servir la cause de l’épargne. Une entre autres intéresserait, surtout l’économie domestique. Les jeunes filles qui entrent dans les manufactures dès l’âge de dix ans, munies d’un certificat délivré par l’école dont elles suivent les cours, savent lire, il est vrai ; mais il est rare qu’elles sachent coudre et qu’elles soient bien préparées à toutes les humbles conditions de la vie de ménage. Ce mal est bien connu en Angleterre, et déjà l’esprit d’initiative, si puissant dans ce pays, cherche à y remédier[1]. Les sociétés si nombreuses qui se rattachent à une église ou à une secte ont créé les écoles du dimanche, où prévaut heureusement un excellent système d’éducation, destiné à faire un jour de bonnes mères de famille prenant souci de l’avenir.

En même temps que l’évidence du principe de l’épargne est reconnue, on est d’accord aujourd’hui sur un fait important : c’est qu’on peut se rendre compte de l’étendue des sacrifices qu’ont entraînés les mauvais jours qu’on vient de traverser, et qu’on peut prévoir avec certitude ou s’arrêteront les sacrifices à venir. Ce qui est certain, c’est que l’intervention du gouvernement ne sera pas réclamée en Angleterre : la bienfaisance publique continue à remplir les caisses des comités de secours, et les pouvoirs octroyés par le parlement aux paroisses offrent une ressource illimitée. On compte d’ailleurs sur la reprise du travail, et l’on admet généralement qu’à partir du mois de mars 1863 la moitié des ouvriers au moins trouveront là non-seulement des moyens d’existence, mais le retour à leurs habitudes laborieuses et la satisfaction qui en est la récompense.

  1. Qu’on juge si nous exagérons les choses en lisant la lettre suivante, qui était adressée le 16 mai dernier au président du board of guardians de Manchester en réponse à diverses questions. Cette lettre émane d’un homme étranger au bureau des pauvres, mais que ses fonctions de collecteur de loyers mettent en rapports constans avec les ouvriers. « Les classes ouvrières prises en masse reçoivent des salaires plus élevés qu’il y a quinze ou vingt ans ; malheureusement leur vie est moins économique et moins simple qu’autrefois. Sans doute les hommes sont plus sobres, mais ils dépensent toujours la plus grande partie de leur salaire sans aucun souci du lendemain. La plupart des femmes d’ouvriers connaissent peu de chose de la tenue d’une maison. Après comme avant le mariage, elles restent étrangères à l’économie domestique, et elles dépensent une forte partie de leur revenu avec une prodigue légèreté. J’attribue en grande partie la détresse qui sévit aujourd’hui dans les classes laborieuses à la conduite des femmes, et je les blâme plus que leurs maris. Je suis heureux de reconnaître que j’ai rencontré plusieurs exceptions ; mais la règle est ce que j’ai dit. »