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se posent. Les sources de la production du coton ne peuvent-elles se déplacer ? L’Inde ne peut-elle pas se substituer, pour cette culture, aux états du sud de la république américaine ? Enfin les besoins de la consommation ne viendront-ils pas permettre aux manufacturiers de reprendre dans des conditions suffisamment rémunératrices le travail interrompu ? Cette période n’est pas terminée, elle se poursuit sous nos yeux ; mais déjà on peut prévoir que les questions aujourd’hui soulevées se résoudront à l’avantage de l’Angleterre.

On voit à combien de titres la crise de 1862 mérite l’attention des économistes. Il n’est que trop de gens portés à médire du régime actuel de l’industrie anglaise, qu’il faut bien accepter pourtant comme la forme la mieux caractérisée du travail moderne. On entend encore trop souvent soutenir que les richesses créées par ce labeur incessant ne sont obtenues qu’au prix du bien-être des ouvriers. Il faut pénétrer au fond des choses et, rechercher si l’on doit, au nom de l’humanité même, condamner ou absoudre l’industrie anglaise. L’épreuve qu’elle traverse aujourd’hui offre une occasion naturelle d’examiner cette grave question.

Qu’est-ce d’abord que l’ouvrier des manufactures en Angleterre ? Cet homme qui a sous sa direction un métier réalisant un travail que cent personnes autrefois n’auraient pu exécuter, qui imprime des étoffes au moyen de rouleaux, dirige une opération chimique ou règle la marche d’une machine à vapeur, — cet homme, contraint de faire à toute heure acte d’intelligence, n’a rien de commun avec l’ancien manœuvre, obligé de ne compter que sur la force de ses bras. On peut dire qu’il existe maintenant dans les cités industrielles de l’Angleterre une classe nouvelle de travailleurs dont le bien-être matériel et la culture morale suivent la même loi de progression. On connaît ces maisonnettes où, pour un modique loyer, l’ouvrier anglais habite avec sa famille. La vie intérieure y est douce, grâce à des salaires généralement élevés. L’ouvrier se procure les objets de grande consommation à très bas prix, et ce qui le prouve, c’est-que les autres pays croient devoir frapper les articles manufacturés anglais d’un droit élevé, afin de protéger leur propre industrie contre une concurrence redoutable. Le prix des denrées ne peut s’élever à un taux anormal, les ports de l’Angleterre étant ouverts aux provenances de toutes les parties du globe. La durée du travail dans les manufactures est fixée à dix heures, et il est interdit aux manufacturiers d’employer des enfans au-dessous de treize ans, si ceux-ci ne suivent en même temps l’école, ou s’ils ne l’ont suivie précédemment le nombre d’heures exigé par la loi. En un mot, pour tout esprit impartial, il est démontré que les classes manufacturières