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incorporation du Slesvig. Il ne peut s’agir d’une incorporation politique, puisqu’une telle incorporation existe en fait, de par le traité et les garanties de 1721 ; il s’agit donc seulement d’incorporation administrative, d’assimilation : voilà ce que le roi de Danemark a promis de ne pas faire ; il s’est engagé à laisser au duché de Slesvig ses institutions particulières ; il a fait honneur à sa parole ; il peut maintenant, non pas peut-être étendre au duché les lois qui régissent le royaume, mais modifier les institutions du Slesvig d’un commun accord avec ses sujets.

Telle est la distinction fondamentale que lord Russell nous paraît avoir mise en oubli lorsqu’il demande que la constitution commune soit suspendue entre le Slesvig et le royaume, parce qu’elle est suspendue entre les duchés allemands et le reste de la monarchie, et que le Slesvig obtienne une autonomie entière. Lord Russell, pas plus que la Prusse et l’Autriche, n’a nul droit, ce nous semble, à requérir une mesure qui dissoudrait ce qui reste uni de la monarchie danoise, et quant à l’autonomie dont il parle, puisque le duché de Slesvig n’est pas incorporé administrativement, ce ne peut donc être que l’autonomie politique qu’il entend garantir. Or cela est contraire au traité de 1721, qui n’a pas été aboli ni remplacé par un autre, et cela consommerait la ruine du Danemark, qui évidemment n’y peut en aucune façon consentir.

Mais, dit-on, le gouvernement danois n’a pas rempli sa promesse de protéger également les deux nationalités danoise et allemande dans le duché de Slesvig ; il y a dans les cantons mixtes, vers le centre du duché, de bravés paysans qui voudraient entendre des sermons en allemand, et on leur envoie des pasteurs qui parlent le danois ; leurs enfans sont forcés d’apprendre le danois aux écoles, et, le temps venu de leur confirmation, ils ne trouvent à qui parler ! Nous le croyons bien ; il y a en réalité au centre du Slesvig quinze ou vingt mille pauvres gens qui mêlent ensemble le frison, le plat allemand et un mauvais dialecte danois ; leur procurer des pasteurs et des maîtres d’école experts en ces jargons est chose difficile, et, quels que soient les prédicateurs envoyés dans leurs villages, — danois ou allemands, — la difficulté reste à peu près la même. À cela se réduit, sans que nous ouvrions de nouveau l’excellent livre de M. Allen où est épuisée cette question des langues, une si grande affaire : c’est pour procurer le beau langage aux quinze ou vingt mille habitans d’un pays intermédiaire que l’Allemagne menace de recommencer la guerre contre le Danemark. Lord Russell a-t-il vraiment cru, comme le crie bien haut le National Verein, qu’il y avait là une croisade à accomplir au secours d’une nationalité opprimée ?

Est-ce être injuste envers la Prusse que de la tenir pour suspecte