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vrai but de leurs secrets désirs ; ils ont essayé en 1848 d’arracher le Slesvig au Danemark par les armes, et ils ont été battus ; ils se demandent aujourd’hui si l’alliance imprévue de lord Russell ne va pas combler tous leurs vœux. Le Slesvig une fois rattaché à l’Allemagne, le port de Kiel deviendra allemand ; il y aura enfin une flotte allemande. Quelle joie à Berlin et à Cobourg ! quelle victoire pour la Prusse et pour le National Verein ! quel profit pour l’Angleterre, pour la France, pour l’Europe ! — Disons-le, quelle rupture de l’équilibre du Nord ! quel triomphe, avec l’Angleterre pour complice inattendue, d’une politique semblable à celle de Frédéric II et de Catherine à l’égard de la Pologne et de la Suède, et quel renversement de la politique vraiment française, de celle des Choiseul et des Vergennes !


II

Il faut prouver ; mais je serai le plus court possible à ces démonstrations déjà plus d’une fois données. — En premier lieu, l’on ne saurait soutenir avec vérité que le Slesvig n’est pas terre danoise, appartenant au roi de Danemark, duc de Slesvig. Veut-on contre cette théorie fort nouvelle les plus anciens et les plus forts argumens ? Il suffit d’ouvrir le recueil des sagas historiques et de chercher comment les choses se passaient au Xe siècle. Voici, dans une des sagas les plus connues, Othon Ier qui attaque en sa douzième année les Danois. Harald, fils de Gorm, qui était leur roi, est battu ; il est baptisé, et le christianisme devient la religion officielle : le Jutland est divisé en trois évêchés : Aarhuus au nord, Rîbe, tout près de la côte occidentale, et Slesvig au sud. Or ces deux dernières villes font partie aujourd’hui du duché de Slesvig. Au chapitre XV de la saga qui porte son nom, le roi de Norvège Sigurd Jorsala farer[1] revient à travers l’Europe par la Bulgarie, la Hongrie, la Pannonie, la Souabe et la Bavière. « L’empereur romain Lothaire le reçut fort bien et lui donna des guides pour l’accompagner jusqu’à la frontière de ses vastes états ; mais, quand le roi Sigurd arriva dans le Slesvig, qui fait partie du Danemark, il y trouva le iarl Eilif, qui lui fit encore un meilleur accueil ; on célébrait précisément la fête du midsommer ou de la mi-été dans la ville de Hedeby (nom primitif de la ville de Slesvig) ; Sigurd y rencontra le roi des Danois Nicolas Svendssön, qui le reçut avec beaucoup de joie, l’accompagna lui-même jusque dans le Jutland septentrional, et lui donna un navire, sur lequel Sigurd s’embarqua pour rentrer enfin dans ses états. » Il est donc incontestable que le Slesvig fit dès les premiers temps partie de la province danoise du Jutland. Il est vrai qu’il en fut détaché

  1. C’est-à-dire « pèlerin à Jérusalem. »