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preuve l’ample moisson d’injures qu’il a déjà recueillie ; mais dans tous les temps la licence de l’insulte mutuelle a été d’autant plus florissante que la liberté vraie de discussion était plus amoindrie. C’est qu’injurier n’est pas répondre, et j’affirme, avec tous les hommes qui ont l’expérience de ces matières, qu’une claire et solide réponse de la part de l’opinion que M. Augier a ridiculisée est tout simplement impossible. Répondre en effet, qu’est-ce autre chose, dans cette circonstance comme dans toutes les circonstances analogues, que de rejeter le travestissement dont on vous a couvert, que d’établir clairement ce qu’on est, ce qu’on veut, que de dissiper toutes les équivoques amassées autour de vous pour vous nuire, que de déchirer par un juste retour tous les voiles que l’adversaire a commodément jetés sur ses propres plaies ? Une semblable défense, la seule efficace, n’est pas, nous le savons de reste, à l’usage des partis vaincus en temps de révolution. Nous ne doutons pas cependant que M. Augier ne soit de bonne foi lorsqu’il est convaincu qu’en brochure du moins on peut lui répondre. Il est abusé comme tant d’autres par le vain bruit de la parole humaine, et il est tenté de croire que tout le monde a la langue libre parce que tout le monde parle haut et va même parfois jusqu’à crier. S’il veut prêter mieux l’oreille et bien réfléchir à ce qu’il entend, il sentira bien vite que c’est presque toujours en coulant à côté de la question que coule librement ce flot de paroles inutiles. Donnez de mauvaises raisons, défendez-vous mollement, ménagez surtout le point faible de l’adversaire, et vous pourrez aller ainsi jusqu’à la fin du monde ; mais voilà les limites invariables dans lesquelles votre liberté peut fleurir. Il ne faut accuser personne d’un état de choses inévitable en tout temps et en tout lieu lorsque la presse ne jouit point d’une liberté régulière ; mais il faut le comprendre pour se rendre exactement compte de l’impression que M. Augier a produite, et qu’il s’attendait si peu à produire. La difficulté de se défendre comme on le voudrait, bien plus que la force ou l’injustice de l’attaque, est ce qui soulève les âmes. Cette difficulté est aussi évidente que la lumière : j’en ai souffert moi-même en essayant de répondre, il y a deux ans, pour mes amis et pour moi à d’indignes outrages ; bien qu’averti par l’expérience, je l’éprouve encore aujourd’hui ; je n’effleure qu’en tremblant les questions que la comédie de M. Augier soulève, et je le sens bien, je l’avoue en toute humilité, lorsque j’aurai tout dit, je ne lui aurai pas répondu.

Comment prouver en effet par des raisons solides et par des comparaisons qui seraient irréfutables qu’en accusant l’opinion légitimiste de représenter les idées absolutistes dans notre pays, l’auteur du Fils de Giboyer,, commis une erreur et une injustice ? Ces raisons se pressent en foule sous ma plume, et ce sont les moins fortes qu’il