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capables de répondre aux coups terribles de la comédie. Il y a aussi peu d’égalité entre des armes si différentes qu’entre l’artillerie de Fernand Cortez et les flèches des Mexicains. M. Augier ne peut ignorer cependant que la scène a le don merveilleux de faire valoir et de mettre en relief les pensées les plus banales, qu’adroitement lancés dans le vif échange du dialogue les traits les plus émoussés portent coup, de même que les personnages les moins vraisemblables reçoivent de la main d’un acteur habile la forme, la couleur et la vie. Cette comédie même offre plus d’un exemple de cette influence vivifiante de la scène. Elle abonde en mots spirituels ; mais si l’on voulait rechercher ceux qui réussissent peut-être le mieux, on pourrait bien tomber sur des mots aussi anciens que les rues, que dans un almanach on daignerait à peine relire, et qui, retrempés et décochés à propos par la main du poète, vont en sifflant frapper le but avant d’avoir été reconnus. Ce qu’on voit et ce qu’on entend a une bien autre puissance que ce qu’on lit. M. Augier veut-il en faire l’expérience ? Qu’il écrive une autre comédie cent fois plus agressive, plus spirituelle et plus amère que celle qui se joue tous les soirs rue de Richelieu devant une salle comble ; mais qu’au lieu de la faire représenter, il la publie simplement en brochure ; il pourra comparer l’effet de ses deux œuvres, et sentir du même coup en quoi le poète comique qui dispose de la scène est mieux armé que l’écrivain. Bien plus, que sa comédie actuelle cesse, par impossible, d’être représentée demain, elle continuerait de subsister et de se vendre en brochure ; mais si l’on en parlait encore dans quatre jours, M. Augier, qui a de l’esprit, en serait lui-même bien étonné. Il doit donc comprendre que toute réponse à sa comédie faite ailleurs que sur la scène n’est pas une véritable réponse. Y a-t-il cependant quelque apparence qu’on puisse se servir du théâtre pour reporter cette guerre dans le camp de l’agresseur ? Il suffit, pour s’en rendre compte, de se demander si une comédie intitulée le Démocrate dictatorial ou le Républicain monarchique (car on ne peut guère imaginer d’autre titre à cette œuvre de représailles) aurait quelque chance d’être agréable à la censure, ou, mieux encore, de se passer de son agrément.

J’irai pourtant plus loin, et je n’aurai pas de peine à faire convenir le lecteur qu’une brochure ne peut combattre une comédie de ce genre avec des armes égales, non-seulement parce qu’on ne peut arriver par ce chemin détourné aux effets de la scène, mais encore parce que le champ de la discussion imprimée est infiniment moins vaste que M. Augier ne paraît le croire. M. Émile Augier semble en effet s’imaginer que si l’opinion légitimiste et catholique ne peut songer à mettre le pied sur le théâtre, elle peut du moins prendre sa revanche dans la presse ; et il est sans doute tenté d’en donner pour