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Soumis à des nécessités nouvelles, vivant au milieu d’un plus grand courant d’affaires et sous l’empire de procédures plus brèves, obligé d’étudier rapidement les causes, surtout au grand criminel, où peu de jours sont donnés à la préparation de la défense, on comprend que le barreau moderne ait été conduit à faire une large part à l’improvisation. De là cette vivacité d’allure que conservent en général les plaidoyers recueillis de nos jours par les procédés de la sténographie, et qui paraît caractériser surtout les œuvres judiciaires de M. Chaix-d’Est-Ange. L’ancien barreau français n’a certainement rien offert de pareil. Les plaidoiries qu’il nous a laissées sont des plaidoiries mortes auxquelles, même après le débat, la vie n’a pu être donnée par aucun artifice. Elles n’échauffent pas plus que des discours d’apparat. Ici, au contraire, le feu de l’action vous gagne comme si l’on était encore dominé par les ardeurs de la lutte. C’est par là que cette publication offre un côté véritablement intéressant à l’étude du style judiciaire, en même temps qu’elle résume assez fidèlement l’influence au palais du romantisme sur la plaidoirie. Toutefois M. Chaix-d’Est-Ange fera-t-il école au barreau ? Nous ne le pensons pas, et à cet égard nous partageons l’avis de son historiographe. Le succès que trouvait l’avocat dans des causes d’une certaine nature devaient l’éloigner des utiles et patientes études du jurisconsulte. S’il n’a pas eu pour ces études le dédain des orateurs romains, peut-être ne les estimait-il que médiocrement, comme des choses qui servent trop lentement une renommée avide d’éclat. On sent en lui l’artiste qui cherche à émouvoir et vise à l’effet, on n’aperçoit pas assez l’avocat tel que l’ont fait et le veulent les lois modernes. Quelles étaient les aspirations de M. Chaix-d’Est-Ange ? Son rôle politique dans les affaires du palais n’a jamais été bien marqué. Aussi, quand il veut indiquer de quel côté penchaient au juste les affections ou les convictions de l’avocat, M. Rousse éprouve-t-il un embarras visible. « S’il prenait, dit-il, un plaisir d’artiste aux luttes éloquentes de la tribune, il n’eut jamais dans les institutions elles-mêmes cette foi profonde qui conseille les dévouemens passionnés ou qui soutient les ambitions persévérantes. À ses yeux, l’honneur même de la liberté ne valait pas ses dangers. » Avec ce sentiment, l’avocat était évidemment condamné à s’éloigner des causes où se trouvaient engagées ces grandes questions de liberté qui ont été le partage de