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À ce mouvement de la plaidoirie, les avocats de l’antiquité ont su joindre l’élévation et la pureté du style, et la plupart des œuvres qui nous sont parvenues offriraient à cet égard un désespérant sujet de comparaison. Est-ce dans ce splendide langage que l’orateur improvisait sa défense et s’adressait aux juges ? Il est permis d’en douter. On sait que les orateurs grecs, si bien doués qu’ils fussent par la nature, se condamnaient à de laborieuses préparations ; les avocats romains en agissaient de même, et se présentaient à l’audience ayant à la main un cahier ou des notes qu’ils consultaient souvent. Doit-on voir là des plaidoyers écrits à l’avance ? On ne saurait guère l’admettre : la lutte était ardente et pleine d’incidens ; l’orateur devait s’attendre aux sorties, aux interpellations les plus soudaines et les plus violentes, et elles lui venaient de toutes parts, des adversaires, du public et des juges. Le grand art devait donc être de s’orienter au milieu du tumulte et de s’imposer à l’attention des magistrats et de la foule par la vivacité des réparties, par la brusquerie et la précision des traits, ce qui eût été peu compatible, on en conviendra, avec un thème tout fait et des harangues écrites. Ces débats au gré du temps, sub jove, au sein de vastes amphithéâtres, pouvons-nous même aujourd’hui nous en faire une juste idée par les discours et les plaidoyers qui nous restent ? Ces discours et ces plaidoyers ont conservé une très vive allure sans contredit, ils sont pressans, parfois impétueux ; mais on doit penser qu’ils sont bien loin du langage brûlant et acerbe de l’audience. Tous les plaidoyers de Cicéron ont été par lui recomposés avec le plus grand soin, et dans sa vieillesse il les retouchait encore ; les orateurs étaient dans l’usage de se livrer après coup à ce genre de travail. Lors donc qu’on relit ces plaidoiries, il faut faire la part de l’écrivain et celle de l’orateur. Quant à ce qui fut l’œuvre du cabinet, du compositum domi, comme on le disait, dans ces harangues d’une forme si parfaite, voilà ce qu’il n’est guère donné d’apprécier. Les avocats des derniers siècles s’y étaient-ils trompés en voulant suivre de trop près ces dangereux modèles ? Ce fini de rédaction auquel ils se livraient avant l’audience, n’avaient-ils pas vu que les avocats de l’antiquité n’essayaient de le donner à leurs plaidoyers qu’après les ardeurs de la lutte dont ils reflètent le feu et l’animation ? Il semble que Bossuet eût bien mieux compris la préparation oratoire : il jetait sur le papier le dessin de ses discours et attendait les inspirations de la chaire pour donner le mouvement et la vie à ses méditations[1].

  1. C’est le témoignage de l’abbé Le Dieu, son secrétaire, et il est exact. Il existe à la bibliothèque du Louvre cinq volumes de sermons de la main de Bossuet, préparés ainsi par de simples notes et à plume courante, sur des feuilles de papier de dimensions diverses, sur des revers de circulaires diocésaines. Aucun sujet n’y est traité complètement et de manière à donner une idée de la forme du discours. Les Sermons et les Oraisons funèbres qu’on lit aujourd’hui ont subi, cela n’est pas douteux, le grand remaniement du style ; ils ont conservé néanmoins ce merveilleux entrain de la parole parlée qui a fait des œuvres du prélat quelque chose d’assez semblable aux plaidoiries et aux harangues de l’antiquité.