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de la charge en douze temps. Que devenait l’exorde, cette partie si essentielle du discours selon le digne professeur, où l’avocat devait aligner un certain nombre de considérations, générales et marquer la division du sujet ? L’exorde ainsi entendu, il n’en est plus question ; c’est là une chose convenue qui provoque l’inattention du juge ; il sait que l’affaire ne viendra que plus tard, à un moment qu’il peut noter à l’avance ; il laisse donc passer ce lever de rideau avec l’insouciance d’un spectateur arrivé trop tôt. « L’exorde, disait M. Delamalle, nous paraît devoir être défini une introduction au discours qui prépare à l’entendre et dispose à l’écouter favorablement ; la composition et la diction veulent en être particulièrement soignées ; il importe de bien commencer et de faire prendre de l’œuvre et de l’ouvrier une bonne opinion. » Ce n’est pas ainsi que le comprit la nouvelle école ; persuadée que le magistrat n’est à l’audience ni pour son plaisir, ni pour assister à une vaine parade, elle alla droit à l’affaire et commença par le commencement, non suivant les règles de la rhétorique, mais selon les inspirations du bon sens, qui veut que l’auditeur soit instruit le plus promptement possible, et surtout ménagé.

Rien ne saurait donner une idée plus juste de la révolution ou du changement, si l’on veut, qui s’est accompli dans l’art oratoire au palais, que la lecture successive des plaidoiries de M. Delamalle et de celles qui fixent en ce moment notre attention. Malgré la pompe de la forme, les plaidoiries de l’ancienne école, châtiées, préparées à l’aise dans le froid silence du cabinet, tombent à chaque pas, et par là se mesure d’un trait la distance qui sépare la parole écrite de la parole parlée ; on comprend la réflexion de Pascal : « L’éloquence continue ennuie. » Il fallait changer tout cela ; le temps et les institutions le voulaient. Se rend-on compte de l’effet qu’eussent produit des périodes savamment rhythmées sur cette nouvelle magistrature qu’on appelle le jury ? Tirés de la foule, jugeant avec leurs sentimens et leurs passions tout autant qu’avec la raison, aux jurés il fallait une autre langue, moins travaillée, plus vive et plus vraie ; il leur fallait aussi l’émotion qui va au cœur et entraîne ; la justice populaire est à ce prix : elle n’a besoin ni de science, ni de préparation ; elle peut se passer de tout, si ce n’est d’une certaine sensibilité que n’a plus très souvent, que ne doit point avoir, dit-on, le magistrat, esclave du droit et enchaîné aux textes. La cour d’assises avec ses déchiremens et son imprévu, avec ses angoisses et ses larmes, voilà ce qui a manqué à l’ancien barreau et ce qui a rapproché le barreau moderne des audiences tumultueuses de l’antiquité. C’est la justice criminelle qui a contribué le plus peut-être à donner à la plaidoirie tant de mouvement et de vivacité.