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sûr de lui que le grand jurisconsulte Papinien. L’à-propos de la citation, exagéré peut-être, n’a jamais été poussé plus loin : c’est un des luxes de cet esprit. Dans une cause à laquelle nous avons déjà fait allusion, n’est-ce pas M. Dupin qui souffla à l’un des défenseurs ce terrible forum et jus dont celui-ci se fit une massue dans toute sa plaidoirie ? Et comme cet avocat, — c’était M. Berryer, — est très sobre d’emprunts et d’ordinaire marche fièrement avec son sujet et sa grande parole, en montrant à l’audience, assis à ses côtés, celui dont il tenait la citation, il en rendit l’effet plus imprévu et plus puissant encore. « Je ne puis m’empêcher de dire, s’écrie-t-il, que ce qui est propre à notre belle nation est propre à toutes. Et ici je demande pardon de citer un souvenir historique : on me le rappelait l’autre jour, c’était M. Dupin. Tacite en son endroit fait un grand éloge de Tibère en disant de lui, dans son langage expressif et concis : Tibère était pauvre, Tibère avait peu de biens en Italie, ses domaines étaient médiocres, sa maison était habitée par peu d’affranchis, paucos libertos ; mais quand il était en contestation avec des particuliers, quando cum privatis disceptaret, les tribunaux et la loi prononçaient, forum et jus. Voilà ce qui est le droit de tous les temps, voilà le droit sans lequel il n’y a pas de société. Et on a loué un tyran d’avoir su respecter ce principe fondamental ! Aujourd’hui que vient-on dire ? Vous réclamez des juges, vous demandez à être maintenus dans une incontestable possession qui vient d’être ébranlée par un acte de violence ; vous n’aurez pas de juges ! Quand des titres sont invoqués, vous venez dire : Il y a une loi… Mais il y aurait donc une loi au-dessus de toutes les lois, un droit au-dessus de tous les droits ! Comment ! vous viendriez dire que ce sont là des questions pour lesquelles on ne trouvera pas en France un tribunal et des juges ! Forum et jus ! Donnez-les à tous les princes de la famille d’Orléans, qui disent que la propriété leur est acquise. Forum et jus ! Ne les refusez pas au roi de Belgique, qui a son contrat de mariage ; ne les refusez pas au duc de Wurtemberg, qui a son contrat de mariage ; ne les refusez pas aux mineurs qui ont hérité des droits de leur mère. Forum et jus ! C’est là ce que nous vous demandons. » L’effet que produisait à chaque coup cette répétition fut immense et enleva l’auditoire. Il est douteux que le barreau du parlement ait jamais tiré ce parti des citations ; pour lui, les citations sont une armure pesante dont il se couvre, mais qui le gêne dans ses allures. Avec ce même équipement, M. Dupin sut être alerte au combat, prompt à la riposte, et faire admirer l’adresse de ses coups. S’il est vrai qu’il ait été le dernier avocat parlementaire, comme l’a dit l’auteur d’un intéressant livre sur le Barreau, M. Pinard, du moins fut-il le premier qui trouva dans ces emprunts à l’antiquité