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ils attendent l’heure où la parole retrouvera ses franchises, et par de patientes études ils se sont préparés à lui donner le plus vif éclat. La chute de l’empire fut le point de départ d’une ère nouvelle ; après avoir été soumis à une longue oppression, l’esprit public prenait son élan en toutes choses, hardi, rapide, étincelant, libre enfin ; une fois de plus il était prouvé qu’il n’y a rien à demander de grand et de vrai, dans les arts de toute espèce, au peuple qui n’a point la liberté. Le despotisme a sur l’esprit des nations l’influence de la captivité sur l’homme ; il le rend bas et pervers. Combien de fois sera renouvelée l’épreuve ? Les leçons en politique ne peuvent-elles donc profiter qu’à la génération qui les reçoit et passe, sans jamais rien apprendre aux générations à venir ?

Des affaires d’un grand retentissement furent alors portées devant les tribunaux ; le barreau devait renaître dans ces graves débats ; il y grandit rapidement et occupa dans les institutions une place qu’il n’avait encore jamais eue. Lorsqu’enfin la loi de 1819 eut attribué au jury la connaissance des délits de presse, il s’éleva parfois à la hauteur de la tribune. C’est ici qu’il faut saisir la réforme qui s’est dès lors accomplie dans l’art oratoire au palais. Le ton de la déclamation a disparu ; le droit public et le droit civil ont d’ailleurs changé de vocabulaire. Et puis à ce moment l’esprit français s’agite et cherche en toutes choses des voies nouvelles ; dans les arts comme en littérature, une véritable révolution se poursuit ; la peinture a répudié les poses académiques et la couleur de convention ; en tout, elle veut trouver la vie et s’approcher du vrai sans tomber dans la servile reproduction de la réalité ; la musique elle-même a imaginé des combinaisons nouvelles, et le domaine de l’harmonie a reçu sa commotion. Le théâtre n’est pas en arrière ; il veut des personnages qui agissent et parlent plus naturellement. Quant à l’histoire, elle interroge les monumens et les chartes, elle s’attache à remonter aux sources, et bien des faits acceptés apparaissent sous des aspect nouveaux, plus saisissans et plus vrais. Dans ce travail de renaissance ou d’émancipation, le barreau restera-t-il stationnaire ? Non. Merveilleusement servi par une nouvelle littérature, par la tribune, par la presse, par la science d’un autre droit, par une surabondance d’affaires, de faits et d’événemens qui tiennent au nouvel état de choses, à cette société moderne qui, elle aussi, vit et marche plus librement, placé là comme dans son courant naturel, le barreau se fait une langue à lui, un style rapide, clair et nerveux ; le mot marche avec l’idée, la phrase avec le raisonnement, tout s’enchaîne et se lie comme de soi, le débat est souple, rempli d’énergie, de vie et de mouvement ; le barreau, lui aussi, a donc trouvé sa voie.