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confédérées, il n’avait, à vrai dire, aucune influence. » Sur ces explications, il but de plus belle et me contraignit à boire, ainsi que mes Malais, qui, goûtant l’alcool pour la première fois de leur vie et contraints de l’avaler à pleines rasades, faisaient des grimaces à dérider un mort.

La jeune Hébé qui avait déjà rempli mon verre, et que j’avais vue s’éclipser ensuite, reparut alors : elle apportait dans ses bras nus un pourceau en bas âge qu’elle remit à l’un des assistans. Celui-ci lia les pattes de l’animal et l’alla solennellement déposer en face de l’endroit où le Pluto était amarré. On disposa des nattes tout à l’entour, et un fauteuil d’honneur taillé d’une seule pièce dans les énormes racines de l’arbre ta-pong fut installé pour me servir de siège. Une cérémonie importante se préparait évidemment ; elle débuta par un long discours de Tamawan, qui, animé par l’eau de feu, parlait avec enthousiasme des Anglais, de leurs merveilleux navires, de l’amitié qu’il avait pour ce grand peuple en général, et particulièrement pour l’hôte venu en son nom… Il tenait ma main dans une de ses mains, s’exaltant à mesure qu’il parlait, et de l’autre gesticulant avec frénésie. Son discours eut pour péroraison (à ce que mes interprètes m’expliquèrent le lendemain) une invocation aux esprits dû bien et du mal, à Totadungan, le dieu suprême, et à ses agens secondaires, qu’il suppliait de lui laisser lire dans le cœur de la victime préparée pour le sacrifice si notre visite devait être favorable ou fatale au peuple kayan. À ces mots, il saisit un coutelas qu’il plongea dans le cou du pourceau ; un prêtre portant des habits de femme vint aussitôt procéder à l’autopsie du cadavre pour en retirer le cœur et le foie, qu’on étala tout fumans sur deux feuilles de palmier, et qui furent examinés avec une curiosité superstitieuse par tous les chefs présens, Tamawan se donnant le souci (bien inutile à coup sûr) de m’expliquer les différentes indications d’après lesquelles se règlent les pronostics favorables ou contraires. Fort heureusement pour notre amitié, les signes annonçaient tous une heureuse alliance. De sa main sanglante, Tamawan saisit la mienne, tandis qu’il exprimait sa joie par une dernière allocution. Puis on détacha l’oreillette du cœur, que l’on jeta de côté ; les autres morceaux de la victime, introduits pêle-mêle dans le creux d’un bambou, furent mis sur le feu et préparés pour le repas du soir.

Jaloux des progrès que Tamawan semblait faire dans mon estime, un autre chef, nommé Singauding, me fit proposer de me lier à lui par la fraternité d’adoption en buvant le sang l’un de l’autre. Boire n’est pas l’expression rigoureusement exacte, car on peut aussi le fumer. Dans le premier cas, le sang est mêlé à de l’eau ; dans le second, on en arrose un cigare indigène. Les Kayans appellent berliang