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d’écorce, va de la taille aux genoux, et en une espèce de soubreveste ornée de franges. Elles aiment aussi la joaillerie indigène, et, leurs maris s’associant avec ardeur à ce goût féminin, les Dayaks-Malaus, qui, établis aux sources de la rivière Kapuas, ont à peu près monopolisé la fabrication des ornemens d’or ou de bronze, sont par là même reconnus inviolables, et traversent impunément les territoires où nul autre voyageur n’oserait mettre le pied. Les Sakarangs, les Seribas portent des colliers de graines ou de dents de chat-tigre, et bordent d’anneaux le pourtour de leurs oreilles, qui parfois, sous le poids du métal, prolongent jusque près de l’épaule leurs cartilages inférieurs et leurs lobes charnus.

Une estrade couverte avait été dressée par les Balaus sur le bord de la rivière. Nous y prîmes place avec les principaux chefs au milieu de la foule attentive, et lorsque le capitaine Brooke eut exposé en quelques mots l’objet de la réunion, qui était d’en finir, au moyen de concessions réciproques, avec les plaintes élevées de part et d’autre, ce sujet fut repris en sous-œuvre par le datu patinggi[1], que nous avions tout exprès amené de Saravvak. Les chefs dayaks discoururent à leur tour avec une abondance, un aplomb merveilleux, et sans le moindre embarras, la moindre hésitation apparente. On procéda immédiatement après aux rites conciliateurs. Chaque tribu devait immoler un porc, et il s’agissait de savoir lequel des deux animaux serait le plus heureusement, c’est-à-dire le plus adroitement séparé en deux du premier coup de parang[2]. Le champion des Balaus s’y prit assez mal, et son arme ne pénétra guère qu’à moitié de la victime ; celui des Sakarangs au contraire, athlétique Malais connu par son adresse, et qu’on avait armé d’un parang de premier choix, résolut le problème aux cris de l’assemblée tout entière. La lame avait traversé avec la rapidité de l’éclair le corps de l’animal placé devant lui, et de plus s’était profondément enfouie dans le sol. Les Balaus parurent supporter sans trop de dépit cet échec de : leur amour-propre national. Ils acceptèrent de bonne grâce la jarre sacrée[3], la lance et le pavillon que nous offrîmes de la part du rajah Brooke à chacune des deux tribus, et suivirent en

  1. Datu patinggi, — mot à mot le principal chef.
  2. Espèce d’arme qui tient du glaive et du couperet.
  3. Ces jarres sont toujours d’origine chinoise. On les classe selon l’ancienneté, l’authenticité, et on leur attribue une valeur toute de convention. Les plus estimées sont les gusi, hautes d’environ dix-huit pouces et de conleur verte ; elles passent pour avoir des vertus médicinales. On en cite qui ont atteint le prix de 400 liv. sterl. (10,000 fr.) payables en produits du pays. La naya, ornée de figures de dragons, ne vaut guère que 7 ou 8 livres sterling. On a essayé de contrefaire en Chine ces vases dont l’âge fait surtout le prix ; mais les Dayaks ne s’y laissent pas tromper et n’acceptent que les jarres vraiment anciennes venant de ce pays.