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bleu ; mais quelle gamme de tons ! quelle variété de violets et de nuances intermédiaires ! Polygnote, avec ses couleurs primitives, n’obtint pas des effets moins heureux. Il excellait à rendre la beauté des femmes, leurs coiffures brillantes, leurs parures aux nuances variées ; il semait sur les étoffes des fleurs et des oiseaux, il faisait sentir la transparence des eaux ; il montrait Ajax encore couvert de l’écume des flots qui l’avaient submergé ; il ne reculait même pas devant le genre fantastique, et donnait au démon qui ronge les cadavres l’aspect d’une mouche diaprée. Quintilien nous affirme que le coloris de Polygnote avait des admirateurs passionnés. Les modernes n’admirent-ils pas en effet le coloris des peintres primitifs, soit qu’ils relèvent des Byzantins, soit qu’ils aient profité des leçons de Van-Eyck ? Le premier, Polygnote rompt l’immobilité traditionnelle des figures peintes. Il anime les traits de ses personnages, leur fait exprimer la tristesse ou la joie, la pudeur ou la colère. C’est à l’aide de la couleur qu’un artiste surmonte ces difficultés, de même qu’il ne peut représenter qu’à l’aide de la couleur le charme d’un visage féminin. Lucien, dont le goût était exquis en toutes choses, décrivant la Cassandre de Polygnote, vante l’arc élégant de ses sourcils, la grâce décente de ses paupières, la rougeur aimable de ses joues, ses vêtemens où la finesse du tissu est surpassée par la finesse du pinceau, l’art des ajustemens, soit que les draperies modèlent les formes, soit qu’elles flottent librement comme si le vent les agitait. Ces voiles transparens, ces frémissemens de l’air, ces caresses de l’étoffe qui s’applique au corps, ne font-ils pas songer aux premiers tableaux de Raphaël ?

En même temps le dessin de Polygnote frappait par sa simplicité grave. La noblesse des lignes n’excluait point la liberté ; la fermeté sculpturale des attitudes était tempérée par la grâce. Une naïveté touchante s’alliait à un certain rhythme religieux. Les vases peints du siècle de Périclès, où les sujets tirés d’Homère sont fréquens et copiés peut-être sur les œuvres de Polygnote, peuvent nous donner une idée de ce style élégant et grandiose. La fécondité de l’artiste était prodigieuse : l’abondance de ses compositions n’a été égalée par aucun autre peintre grec. Il a fait quelquefois des portraits, il a consulté la nature comme Masaccio ; mais ses types lui appartenaient par un enfantement tout idéal. Il s’inspirait des créations les plus sublimes de l’épopée et de la mythologie, ces chefs-d’œuvre inimitables de l’esprit grec. Son imagination s’élevait à mesure que les monumens qu’il ornait étaient plus vastes. Exemple mémorable de ce que peut la peinture décorative et de la puissance qu’elle emprunte à l’architecture !

Enfin le trait dominant de la physionomie de Polygnote, c’est une