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immortelle, qui croit que la mort n’est point sans lendemain, et qui aime à sonder le monde inconnu où elle s’élancera en quittant le corps. Le lieu qu’il habitait nourrissait de telles pensées, en y mêlant la fermeté de la religion et la douceur de la foi. Aussi ne craignit-il pas de peindre les Enfers, séjour des âmes bienheureuses aussi bien que des âmes criminelles, où les héros et les poètes conversent dans les Champs-Elysées, tandis que les coupables gémissent dans le Tartare. Pour qu’Homère restât le lien des deux sujets, le peintre avait choisi le moment où Ulysse descend parmi les mânes et consulte le devin Tirésias.

Ces deux compositions se partageaient tout l’intérieur de la Lesché et se faisaient équilibre. Vastes et compliquées par l’abondance des scènes, elles étaient distribuées avec la sagesse d’ordonnance qu’exigeaient les yeux des Grecs, si amoureux de la clarté ; les frises sculptées qui courent sur les murs des temples comme de légers bandeaux, les vases de grande proportion, où les peintures sont divisées par des zones régulières, peuvent donner une idée du système qu’avait adopté Polygnote. En outre il évitait toute confusion par cet art de simplifier qui est le premier pas vers l’idéal. Un arbre désignait une forêt, deux maisons une ville, une colonne un temple, une draperie l’intérieur d’un palais, une galère une flotte. Par là les personnages, entourés d’air, dégagés des accessoires, conservaient leur importance : une inscription tracée auprès de chacun d’eux évitait toute méprise.

La Prise de Troie n’est point une série de combats. Le peintre a voulu montrer, non la guerre, mais ses conséquences funestes et ses horreurs pleines de leçons. La joie triomphante des Grecs et la ruine de ces Troyens si brillans et si enviés prêtaient à des oppositions touchantes. Voici d’abord le camp des Grecs et les compagnons de Ménélas qui se préparent gaîment au retour. Les matelots et les esclaves se pressent sur le navire, où le pilote Phrontis ajuste le gouvernail. On enlève les tentes fixées depuis dix ans sur la plage. Ithaemène emporte des vêtemens, Echéax, qui tient un vase de bronze, descend sur la planche qui sert de pont entre le tillac et le rivage. Hélène, rendue à son époux, n’est point encore embarquée ; elle est assise nonchalamment, tandis que ses femmes la parent et que l’une d’elles, agenouillée, lui attache ses sandales. Briséis et les autres captives qui ont partagé la couche des héros grecs la contemplent dans une attitude expressive que la sculpture a souvent choisie ; et admirent sa beauté. Elle est toujours jeune, toujours belle, toujours reine et triomphante, celle qui a fait couler tant de sang : elle ne semble même pas s’apercevoir des maux qu’elle a causés. Et cependant le peintre a eu soin de réunir, non loin d’elle, les prisonniers troyens, Hélénus, fils de Priam, vêtu de pourpre et