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peut le comprendre que par des anecdotes. En voici une que j’emprunte à M. Fisch, et qui nous en apprendra plus long que des volumes de dissertations sur une autre nouveauté américaine, sur le principe que les deux sexes doivent s’asseoir sur les mêmes bancs pour recevoir la même éducation. A Westfield, chez le pasteur qui lui donnait l’hospitalité, M. Fisch rencontra une jeune fille de dix-neuf ans qui occupait la chaire de mathématiques à l’académie, et un jeune homme de vingt-trois ans qui étudiait pour le ministère religieux, mais qui, faute de fortune, partageait son temps entre les fonctions de domestique du pasteur et les cours publics dont les plus ardus étaient professés par sa charmante commensale.

Quant à la séparation de l’église et de l’état, qui est absolue en Amérique, le livre de M. Fisch prend encore plus d’intérêt en devenant comme le manifeste d’un parti qui depuis plusieurs années déjà, et surtout depuis les écrits d’Alexandre Vinet, grandit chaque jour au sein des communions protestantes, parti qui compte en France d’assez nombreux adhérens, et qui a fondé à Paris une église évangélique libre à laquelle appartient l’auteur. Mais entendons-nous bien sur cette formule de la séparation du temporel et du spirituel, car il ne s’agit plus d’un divorce, comme l’ont compris des hommes qui jugeaient en purs politiques et qui voulaient seulement que l’état rompît avec les diverses religions pour ne plus être responsables de leurs exagérations; il s’agit d’une séparation telle que des croyans ont pu la concevoir et l’ont conçue au point de vue même des intérêts religieux. Est-ce le principe volontaire de l’Amérique qui tend à triompher chez nous? Est-ce vers un résultat de ce genre que nous achemine la crise romaine, et que nous nous sommes acheminés nous-mêmes en enlevant au clergé ses terres pour les remplacer par une dotation? En tout cas, le principe vaut la peine d’être connu. Où va-t-il donc dans la pratique? Il ne va pas seulement à la liberté de conscience la plus entière, à la suppression de toute église d’état et de toute contrainte de la part de l’état; il va surtout à l’absence de toute protection de la part de l’état. Plus de salaire payé par le trésor aux ministres d’aucun culte, plus de propriétés mêmes, ni de fondations nouvelles qui permettent à un clergé de vivre de l’autel sans avoir besoin du zèle qui éveille le zèle. Jusqu’ici, c’est tantôt l’état, tantôt une corporation sacerdotale qui ont procuré aux populations l’enseignement religieux qu’ils jugaient le meilleur. Désormais plus de ministres, à moins qu’il n’y ait un troupeau pour les réclamer et les subventionner; partout des congrégations indépendantes qui ne puissent avoir de culte que pour leur foi, qui n’aient d’autre pasteur que celui qu’elles auront élu ou voulu avoir, qui ne reçoivent d’autre instruction que celle qu’elles auront préférée. Voilà en quelques mots ce que l’Amérique entend par «l’église libre dans l’état libre.» La sagesse de la foi, comme disait Vinet, c’est d’être une folie au point de vue de la sagesse humaine; croire en Dieu, c’est repousser tout secours humain et ne compter que sur la puissance de la vérité, que sur la force des croyances religieuses. — Mais,