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Pompéi. L’archéologie n’a rien de commun avec l’art, et elle aurait pour la peinture les mêmes résultats déplorables qu’elle a eus déjà pour la poésie.

L’archéologie est une manie dont la fatigue et l’ennui du public auront, j’espère, facilement raison ; mais elle n’est pas le seul travers de l’art contemporain, ni le principal écueil contre lequel vient s’arrêter son légitime développement. Depuis la seconde moitié du XVIe siècle, la peinture nous semble tourner dans un cercle vicieux, d’où quelques efforts individuels n’ont pas réussi à la faire sortir. Aux erreurs de goût que j’ai signalées se joint une déplorable stérilité d’imagination. On ne se borne pas à étudier l’antiquité, on la répète. Ces pastiches sans vérité, sans originalité, sans vie, quoiqu’ils rappellent plus ou moins d’inimitables chefs-d’œuvre, me paraissent avoir peu d’intérêt. Au lieu de donner aux sujets antiques que l’on traite un sens général et humain, on insiste sur ce qu’ils ont de particulier, et on relève précisément ce que les anciens, qui avaient une parfaite intelligence d’eux-mêmes et de leur temps, ont compris mieux que nous ne pourrons jamais le faire, ce qu’ils ont exécuté avec une perfection que nous n’atteindrons pas. Et ce que je dis là de l’imitation de l’antiquité est également vrai de celle de la renaissance. Tâchons donc d’être nous, pénétrons-nous des maîtres, nourrissons-nous de leurs grands exemples, gagnons dans leur commerce la force, le savoir, le goût; ne les imitons pas. J’admire certes la Phèdre d’Euripide et même celle de Sénèque; mais Racine a eu raison de donner à la sienne des sentimens qui étaient ceux de son temps. Je suis loin cependant de demander que l’on abandonne les sujets anciens. L’antiquité est un terrain commode; l’imagination est à l’aise dans ce monde presque fabuleux : la beauté y est à sa place. L’éloignement permet des interprétations qui, placées plus près de nous, deviendraient invraisemblables et choquantes. L’incertitude et la rareté des renseignemens sont autant d’élémens de liberté. Enfin ces grands types qui ont traversé les âges, qui sont par l’histoire et par la poésie présens à toutes les mémoires, se prêtent merveilleusement à ces personnifications puissantes, qui n’ont besoin d’aucun commentaire pour s’expliquer à l’esprit. Traitons donc les sujets antiques, mais en les animant du souffle de notre âme, de nos propres sentimens et des idées qui intéressent les contemporains.

C’est ce sentiment moderne que je remarque dans la plupart des tableaux de M. Gleyre, et que je n’hésite pas à louer. Oui, le sentiment moderne se retrouve dans cette Omphale, qui, malgré sa tunique et ses sandales, est une femme de tous les temps, et de notre temps plus que de tout autre, dans ces Romains passant sous le joug, si fiers dans leur humiliation, et que la doctrine antique de la fatalité n’a pas avilis, dans le mouvement de tendresse pathétique de la mère de l’Enfant prodigue, dans cette Vénus impudique elle-même, qui ne s’abandonne pas sans trouble et sans remords à la volupté, dans ces têtes, d’une beauté toute morale, du saint Jean et du saint Pierre de la Pentecôte. M. Gleyre a une manière de sentir et d’exécu-