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les plus importans sont hors de France à cette heure, et dans des conditions telles qu’il est peu probable qu’ils reviennent jamais dans ce pays. Les Bacchantes, dont un journal a donné une très insuffisante gravure, sont à Madrid; la Mort dit major Davel, l’importante et admirable composition les Helvétiens faisant passer les Romains sous le joug, sont au musée de Lausanne, la Nymphe Écho à Cologne, la Séparation des Apôtres, ainsi que le saint Jean dans l’île de Pathmos, dans je ne sais quelle église de province, le Déluge en Angleterre. Il en reste, il est vrai, un certain nombre à Paris : la Pentecôte, la Vierge avec les deux Enfans, la Diane chasseresse, le Retour de l’Enfant prodigue, Ruth et Booz, Nausicaa, Vénus Pandémos, le Sommeil du Loup, Daphnis et Chloé; mais, je le répète, ces tableaux ne sont connus que des amateurs, très peu du public. Ceci nous amène à dire un mot des expositions,

M. Gleyre n’expose pas. A-t-il raison? Si j’étais peintre et que je ne prisse conseil que de mon goût, je n’exposerais probablement pas mes tableaux. L’utilité des expositions d’œuvres d’art me semble au moins contestable, et dans tous les cas les inconvéniens qu’elles présentent sont tellement manifestes qu’il faudrait être aveugle pour ne pas les apercevoir. Qu’irait faire, je le demande, un ouvrage délicat, d’un dessin pur, d’un coloris sobre dans ce pêle-mêle ? Se représente-t-on une Madone de Raphaël au milieu des tableaux qui peuplent nos expositions? Tout au plus produirait-elle l’effet d’une voix pure dans un orchestre discordant; mais, en admettant même que l’auteur de quelque œuvre de choix dût au bon goût des ordonnateurs de nos expositions de ne pas voir son tableau écrasé entre deux batailles, se figure-t-on quelle influence pourrait avoir à la longue sur le public cette protestation muette et éloquente? La beauté a fait bien des miracles. Qui sait si la voix pure n’aurait pas raison du tapage? Je conviens qu’il faut du courage et de l’abnégation pour affronter une cohue où celui qui crie le plus fort a presque toujours raison, qu’il faut quelque philosophie pour entendre sans s’émouvoir tant de louanges banales et d’irritantes critiques; mais je sais bon gré pour ma part à ceux de nos artistes sérieux qui, malgré le désavantage que leur donne un engouement que je ne peux nier pour les œuvres violentes, exagérées, emphatiques, persistent à jouer courageusement une partie presque désespérée. Il ne faut d’ailleurs pas se méfier par trop du goût public. Nous touchons peut-être au moment de la réaction, et je me souviens d’avoir vu avec quelque étonnement et beaucoup de plaisir la foule, la vraie foule, quitter sans regret cinquante mètres de peinture militaire pour entourer un portrait d’un très bon caractère, la Jeune Fille à l’œillet, de M. Flandrin. Il me semble enfin que les argumens que l’on fait valoir contre nos expositions telles qu’elles sont organisées perdent toute leur force lorsqu’il s’agit de la publicité discrète que les œuvres des artistes contemporains trouvent dans la salle du boulevard des Italien ou dans la galerie de M. Goupil, et