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lever au-dessus de tous les anciens partis en dissolution un drapeau fait pour rallier les hommes de bonne volonté de toutes les fractions constitutionnelles. Malheureusement jusqu’ici cette union libérale a été un mot sonore, un expédient, bien plus qu’une politique, et le plus clair a été cette association, factice ou intéressée, de personnalités disparates partageant la fortune d’un ministère uniquement préoccupé de vivre. Avec cette unique préoccupation de vivre, la première condition était de ne rien faire, sous peine de réveiller la guerre au sein d’une majorité qui avait elle-même tout intérêt à ne point se montrer difficile. Aussi n’a-t-on rien fait, ou à peu près. Il y a cinq ans qu’une loi plus équitable sur la presse est réclamée, préparée, reconnue nécessaire par le gouvernement lui-même : elle est encore en projet, et en attendant la presse a vu pleuvoir sur elle les amendes, les saisies, les procès, en vertu d’une loi excessive moralement condamnée par tous. Depuis plusieurs années, des lois sur l’administration provinciale et municipale sont péniblement élaborées : elles voyagent d’une chambre à l’autre, et toutes les fois qu’elles reparaissent, elles sont un brandon de discorde. Au lieu d’être libérale, la politique intérieure de ce ministère de cinq ans s’est réfugiée dans un système d’atermoiement ou d’inaction, réduite souvent à subir les influences réactionnaires qui s’agitent au palais, et avec lesquelles elle avait à compter. Quant à la politique extérieure, elle s’est personnifiée dans M. Calderon Collantes, un homme satisfait de lui-même, qui laissera sûrement des traces peu glorieuses dans la diplomatie espagnole, qui a passé sa vie à mettre de l’ordre dans ses contradictions, à se créer des embarras par ses dépêches, à les aggraver par ses discours, et à s’expliquer sans jamais se faire comprendre. En un mot, le cabinet du général O’Donnell a passé cinq ans à vivre, malgré ses actes et sa politique, en ménageant une majorité unie par des intérêts et maintenue dans l’obéissance par une volonté énergique.

Qu’est-il arrivé? C’est qu’un secret et profond malaise s’est rapidement accru, c’est que le ministère, sans cesser d’avoir dans les chambres une majorité numériquement considérable, s’est moralement affaibli, tandis que l’opposition, progressiste ou modérée, qui ne comptait que quelques représentans dans les cortès, s’est sentie plus forte, a essayé de se coaliser à son tour, et a recommencé avec une énergie nouvelle une guerre devenue peut-être plus dangereuse. Dans le camp ministériel lui-même, les dissidences se sont élevées et multipliées. Le cabinet a vu s’éloigner successivement de lui des libéraux modérés comme MM. Pacheco, Pastor Diaz, Rios Rosas, Manuel Bermudez de Castro, Armero, des progressistes comme MM. Cantero, Gomez de la Serna, Santa-Cruz. La question du Mexique est survenue et n’a pas peu servi à augmenter la confusion, d’autant plus qu’ici venait se joindre un mécontentement véritable et mal dissimulé du pays. Il est certain en effet que la nation espagnole n’a point été satisfaite dans son orgueil du rôle qu’on lui a fait jouer militairement et diplomatiquement au Mexique, que ce sentiment a été partagé par des hommes pu-